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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/54

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LA MAISON DES BORIES

geaille, tout le cérémonial inventé par les hommes pour sanctifier l’indécence et apprivoiser le hasard.



Feu de temps après leur mariage, M. et Mme Durras quittèrent le pays d’Isabelle, doux et morne pays de vignes, d’étangs et de peupliers, où chaque épaule de terrain porte un château, pour le plateau des Bories, la maison hantée par la lumière et les rats, et ses trois sorbiers étiques, tordus sous un vent perpétuel.

Isabelle, en arrivant, fit claquer tous les volets, ouvrit toutes les fenêtres et la maison banale et nue, traversée d’espace, eut l’air d’un navire. Le lendemain elle se pencha sur le sol, fit couler entre ses doigts une poignée de terre et pendant le court répit que lui laissaient un printemps tardif, un été brûlant, tôt délayé dans les brouillards de septembre, elle fit sortir du sol des fleurs et des légumes, peupla la basse-cour et les clapiers et confia une douzaine d’œufs de pintade à une grosse poule beige affolée de maternité. Le premier été fut plein de pépiements et de bruits d’ailes. Mais quand les brumes d’automne montèrent de la Limagne et que la maison, soulevée, parut flotter avec son jardin tout noir, force fut à Isabelle de se replier vers une présence humaine et de mesurer en elle-même la profondeur d’un étonnement qu’elle avait empêché jusque-là de glisser vers le désespoir.

De quel nom nommer cela ? Quelle était la nature de ce qu’il ressentait pour elle ? Comment faisait-il pour, à la fois, s’imposer si tyranniquement, obstruer toutes les issues et n’offrir que le vide quand on essayait de s’appuyer sur lui ? Pourquoi la fureur, quand il réclamait la douceur ? Pourquoi se trouvait-elle si seule, alors qu’ils étaient constamment, hélas ! constamment deux ? Où la menait-il ? Où allait leur