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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/65

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LA MAISON DES BORIES

ment d’abord, puis de plus en plus fort, jusqu’au sang, jusqu’à l’élancement aigu qui le laisse pantelant, le diaphragme contracté et sensible, les membres langoureux, l’esprit hébété. C’est alors que la main trace toute seule, sur la feuille blanche : Amédée Durras, Amédée Durras…

Les manifestations de l’amour épuisent l’amour. Amédée a découvert une passion inépuisable, qui s’exaspère à mesure qu’elle s’assouvit. Il y a des moments exquis. Exquis… mais si brefs et si chèrement payés… le regard d’Isabelle est parfois difficile à supporter. Il faut arriver au nirvana de la fureur ou de la jouissance pour rester indifférent au mépris que ce regard laisse tomber sur vous, comme une dalle funéraire.

Par exemple, le jour où Amédée a battu Laurent pour la première fois. C’était venu sans qu’il l’eût prémédité, avec une force irrésistible. Isabelle lui avait mis l’enfant sur les genoux, ce matin-là, toute exultante et chaleureuse : « Mais regardez donc comme il est beau ! »

En effet, c’était un beau bébé, avec d’immenses yeux sombres, des joues sanguines, des lèvres de coquelicot mouillé et un nez comique d’enfant tartare, court et retroussé, fait pour humer le vent, la fumée d’herbes. Il dansait sur les genoux de son père, levant alternativement ses petits pieds d’ourson, fermant et ouvrant les poings, et il accompagnait sa gesticulation d’une espèce de crachotement de locomotive qui semblait traduire une ardeur impuissante.

Amédée le regardait avec curiosité, raidi par une vague inquiétude, et il s’efforçait de sourire en lui demandant : « Eh bien ? Eh bien, petit Laurent ? »

Là-dessus on vint chercher Isabelle pour les besoins de la maison. Lorsque l’enfant vit disparaître sa mère, il se tourna vers la porte, tout d’une pièce, comme s’il voulait s’élancer dans l’air à la nage, et