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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/77

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LA MAISON DES BORIES

pas l’air » et sa manière d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle avait résolu, à travers tous les obstacles, brave Corbiau !

Quant à Lise, ce qu’il éprouvait pour elle, c’était de l’adoration, mais il ne fallait pas que personne s’en aperçût, elle encore moins que les autres, car un homme est perdu, n’est-ce pas, s’il laisse voir ses sentiments. Il la considérait en lui-même comme un petit être mystérieux, qui tenait à la fois du feu follet, du chat blanc et de la petite fille. Cette conception de la triple nature de Lise se trahissait dans les surnoms qu’il lui donnait. Quand il parlait au chat, il l’appelait « Chat Fou ». Quand il parlait au lutin, il l’appelait « Pétrotte ». Quand il parlait à la petite fille, il l’appelait « ma Grosse », — car elle était si drôlement potelée, avec des fossettes partout, comme un bébé. Elle était d’une faiblesse et d’une crédulité attendrissantes, et en même temps d’une malice et d’une élasticité surnaturelles. On pouvait l’effrayer, la gronder, la punir, la battre même, elle pleurait ou trépignait pendant cinq minutes et tout à coup elle relevait la tête, ses cheveux dansaient, son œil brillait, son sourire se moquait et toute sa physionomie prenait quelque chose d’ailé, de voltigeant, de joyeusement indomptable. Pétrotte, quoi, Pétrotte ! Et si vous croyez que c’est commode de faire manœuvrer un feu follet « au doigt et à l’œil »… Pourtant, Laurent avait sur Pétrotte un pouvoir presque illimité et il ne connaissait pas de plus grand plaisir que d’abuser de ce pouvoir, de la plier à des ouvrages qui lui déplaisaient, de la mortifier pour l’exalter ensuite, de faire pleurer, trépigner, sangloter jusqu’à la suffocation cette petite créature secrètement chérie.

Est-ce qu’elle allait se laisser étouffer au fond de son lit, cette imbécile ?

— Allons, dit-il rudement, sors de là dedans, gourde ! C’est pour te faire peur. Il n’y a pas de bête.