Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
TROIS PARMI LES AUTRES

Frangy tandis que Suzon, très droite, autoritaire, amazonienne, faisait claquer son fouet en répétant :

— Ici Paillasse ! Ici Tosca ! Rigoletto, qu’estce que c’est que ces manières ?

Dans le château rien ne bougea. Suzon voyait de tout près sa façade grise flanquée d’une tour à une seule extrémité, son perron bas et le beau cèdre qui protégeait de ses ramures exotiques des allées de buis taillé, mélancoliques et nettes. Un foulard de soie rouge et beige faisait sur le gravier un petit tas mou et une tache vive. Les chiens le prenaient à témoin de leur délire. En vain.

Dès qu’elle eut senti l’inutilité de sa mise en scène, Suzon se jugea ridicule. Elle distribua quelques tapes sèches à droite et à gauche pour rétablir l’ordre et reprit sa route avec la désolante impression qu’elle se promenait maintenant sans but sur un chemin aussi vide que le ciel.

Rigoletto, toujours en tête, disparut à un tournant. Sa voix brève et hargneuse s’éleva toute proche, essayant un discours éloquent avec quelques sons filés. Les deux autres prirent le galop.

— Mais ce sont les chiens de l’abbé Graslin ! dit quelqu’un qu’on ne voyait pas encore. Un homme.

Suzon, le cœur laminé par une émotion foudroyante, presse le pas, se trouve en face d’un garçon de vingt-quatre à vingt-cinq ans aux cheveux châtains et frisés, vêtu d’une salopette de mécanicien toute maculée. Un autre, plus grand, se penchait sur le moteur d’un tracteur agricole