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Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/10

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Enfin, à l’exception du changement qui fait passer l’être du néant à l’existence, ou de l’existence au néant, tout changement s’accomplit dans un temps ; or, ce qui engendre dans l’être une habitude, ce n’est pas le changement, en tant qu’il modifie l’être seulement, mais en tant qu’il s’accomplit dans le temps. L’habitude a d’autant plus de force, que la modification qui l’a produite se prolonge ou se répète davantage. L’habitude est donc une disposition, à l’égard d’un changement, engendrée dans un être par la continuité ou la répétition de ce même changement.

Rien n’est donc susceptible d’habitude que ce qui est susceptible de changement ; mais tout ce qui est susceptible de changement n’est pas par cela seul susceptible d’habitude. Le corps change de lieu ; mais on a beau lancer un corps cent fois de suite dans la même direction, avec la même vitesse, il n’en contracte pas pour cela une habitude : il reste toujours le même qu’il était à l’égard de ce mouvement, après qu’on le lui a imprimé cent fois[1]. L’habitude n’implique pas seulement la mutabilité ; elle n’implique pas seulement la mutabilité en quelque chose qui dure sans changer ; elle suppose un changement dans la disposition, dans la puissance, dans la vertu intérieure de ce en quoi le changement se passe, et qui ne change point.


  1. Aristot. Éth. Eud. II, 2 : Ἐθίζεται δὲ τὸ ὑπ’ ἀγωγῆς μὴ ἐμφύτου τῷ πολλάκις κινεῖσθαί πως, οὕτως ἤδη τὸ ἐνεργητικὸν, ὃ ἐν τοῖς ἀψύχοις οὐχ ὁρῶμεν. Οὐδὲ γὰρ ἂν μυριάκις ῥίψῃς ἄνω τὸν λίθον, οὐδέποτε ποιήσει τοῦτο μὴ βίᾳ.