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Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/157

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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


rer les délices de l’île s’ils n’obtenaient, à prix d’or, une de ses nuits où, dit-on, elle ne se montre jamais oisive. La lourde volupté que dégage son corps lorsqu’elle se promène dans les rues et les jardins du Cap ; tout ce qu’il y a de grossière et ardente luxure dans le balancement de ses hanches vastes, dans ses claquements provocateurs de langue, dans le jeu de ses paupières bordées de longs cils, tantôt retombées comme dans une extase, tantôt levées sur des yeux blancs, où le regard étincelle de colère ou de dédain ; ses domestiques noirs qu’elle traite comme des animaux, mais auquel elle donne des livrées dignes de la Cour ; son luxe, ses toilettes, ses fantaisies ruineuses, les suicides des hommes qu’elle a désespérés par son mépris ou ses caprices, tout lui a fait une célébrité inouïe. Elle se croit reine et elle agit en despote. Combien a-t-elle brisé de mariages et fait pleurer de confiantes fiancées ! Personne n’ose élever la voix contre elle. Il a fallu que le fils du gouverneur s’éprit de cette femme pour que le père alarmé et furieux d’une telle liaison menaçât la courtisane de la faire arrêter et de déchirer l’acte qui l’affranchissait. Alors pour quelques mois elle a abandonné sa magnifique maison et s’est retirée dans ce logis à demi secret qu’elle m’indique dans sa lettre, ne sortant plus et condamnant sa porte à son ancien amoureux afin d’apaiser le père. Je ne connais pas d’être qui me répugne davantage que cette Dodue-Fleurie. Zinga m’irrite ; Zinga m’effraie ; Zinga me rappelle d’atroces souvenirs ; mais que de fois l’ai-je sentie liée et