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Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/83

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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

— Puisque vous n’êtes que des hommes, il fallait agir en hommes. Vous pouviez être bons avec les noirs si vous en aviez le désir, mais vous deviez vous garder de leur attribuer des droits que vous étiez décidés à ne jamais reconnaître.

L’abbé eut un mouvement d’indignation.

— Comment, à ne jamais reconnaître ? Est-ce que Mme de Létang n’a pas un hospice pour ses femmes malades ? je l’ai visité, moi qui vous parle, j’en ai admiré la propreté, l’excellente disposition ; j’ai loué la prévoyance délicate qui avait si bien secondé l’architecte. D’autres hospices vont se construire.

— Ah ! fit Mme de Létang avec ennui, car elle tient à garder le monopole de son originalité.

— Oui, une jeune Anglaise mariée à un Français a le dessein de vous imiter… Oh ! je sens que la religion fait de grands progrès. C’est incontestable. Ainsi on ne voit plus à Saint-Domingue les atroces exécutions dont j’ai été témoin dans mon enfance ; les mœurs s’adoucissent.

— Dites que les nerfs s’affaiblissent, ce sera plus vrai. On est aussi cruel, on l’est même plus qu’autrefois. Seulement on tient à proclamer son bon cœur, sa charité, son humanité. De la sorte on peut tout se permettre. Vos âmes vous paraissent si belles, mesdames, quand vous les regardez, que vous n’avez plus souvenir de ce qu’ont fait vos mains, ces inconscientes !

— Docteur, je vous prie, m’écriai-je, cessez cet entretien ; vous blessez ces dames.

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