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Page:Reclus - Histoire d'une montagne, 1880.djvu/125

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HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

la porte et se frayer péniblement un sentier. D’un haut chalet bâti sur un promontoire, je vis une fois de ces petits êtres presque imperceptibles, de ces noires fourmis humaines, cheminer lentement dans une sorte d’ornière, entre deux murs de neige. Jamais l’homme ne m’avait paru si infime. Au milieu de la vaste étendue blanche, ces promeneurs semblaient perdus, absurdes, chimériques ; je me demandais comment une race composée de pareils pygmées avait pu accomplir les grandes choses de l’histoire et réaliser, de progrès en progrès, ce qui s’appelle aujourd’hui la civilisation, promesse d’un état futur de bien-être et de liberté.

Pourtant, même au milieu de ces neiges formidables de l’hiver, l’homme a pu faire triompher son intelligence et son audace par ces routes commerciales qui lui permettent d’expédier librement ses marchandises et de voyager lui-même presque en tout temps. Le chamois a cessé de parcourir les cimes, et nombre d’oiseaux, qui volaient pendant l’été bien au-dessus des pointes, sont prudemment descendus dans les tièdes régions des plaines.