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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/261

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vie de jésus

le Charlemagne des romans de chevalerie. Il réunit en lui les actions d’individus divers et notamment d’autres Juifs portant le même nom. Ainsi plusieurs versions nous montrent la famille de Jésus séjournant en Égypte[1] ; rien d’impossible qu’un prédicateur revenu d’Alexandrie n’ait contribué à la formation de la légende ; c’est même là un des détails les moins douteux de la vie du Jésus glorifié plus tard en Homme-Dieu[2]. De même, les Évangiles nous parlent beaucoup du séjour de Jésus sur les bords du lac de Tibériade et des miracles qu’il y aurait accomplis. Or, il semble que les légendes locales attribuées par les chrétiens à leur messie se rapportaient primitivement à un chef de bande, Jésus, qui combattit les troupes romaines commandées par Vespasien et qui, général habile, avisé, rapide et insaisissable, réussit à « nourrir de rien » son armée de cinq mille hommes et à fuir « invisible » sur les eau du lac : ce sont là les deux « miracles » de la multiplication des pains et de la marche de Jésus et de Pierre, le disciple de « peu de foi », sur l’eau de Genezareth[3]. On reconnaît aussi le Jésus qui criait : « Malheur à vous, Pharisiens ! » « Malheur à toi, Jérusalem ! »[4] dans ce Jésus, fils d’Ananos, qui lors du siège parcourait les rues en criant : « Malheur sur la ville, malheur sur le peuple, malheur sur le Temple ! »[5]

Si divers personnages ayant réellement existé se sont fondus dans un seul individu, créé par la légende, de même cet être collectif incorpore en lui des conceptions idéales très distinctes et souvent contradictoires : il embrasse un ensemble de dogmes et de philosophies provenant de toutes les contrées environnantes, Iranie, Babylone, Égypte, Asie mineure et Grèce. D’abord il est certainement juif, puisque on a vu en lui le Messie, le vengeur des offenses passées, le revendicateur de la gloire future du peuple élu, puisqu’il est entré dans Jérusalem monté sur une ânesse blanche et que même, sur le bras de la croix, une inscription le saluait « roi des Juifs ». C’est en qualité de Juif qu’il est né à Bethléem et les généalogies, d’ailleurs discordantes, ne manquent pas de le rattacher à David par l’intermédiaire de Joseph, l’époux de Marie. Mais s’il est juif de la pure Judée, une autre légende

  1. Évangile selon saint Mathieu, chap. xi, v, 13, 14 ; Deux Apocryphes.
  2. G. Lejeal, Humanité nouvelle, janv. 1899.
  3. Évangile selon saint Mathieu, chap. xv et xvi.
  4. Évangile selon saint Luc, chap. xi et xiii.
  5. Flav. Josèphe, vi, 31. G. Lejeal, Humanité nouvelle, déc. 1899.