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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/151

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défaite de la chevalerie française

« piétaille » méprisée, ils l’écartaient, l’écrasaient au moment suprême pour ne pas lui laisser remporter la victoire. C’est ainsi qu’à Courtrai, les petits fantassins français ayant déjà repoussé les Flamands, la crainte de se voir ravir l’honneur de la victoire souleva la colère des nobles hommes d’armes : ils se précipitèrent sur les rangs de leurs propres arbalétriers et les foulèrent au pied des chevaux, pour avoir l’orgueil du triomphe là où ils ne trouvèrent, d’ailleurs, qu’une défaite honteuse et méritée. De même à Crécy Philippe de Valois fit massacrer toute la « ribaudaille » victorieuse qui lui barrait « la voie sans raison ». Il voulait vaincre sans elle, et sans elle il fut vaincu. C’est également pour crime de jactance que la chevalerie française fut si durement et si terriblement châtiée à Maupertuis, près de Poitiers, par les archers du Prince Noir[1].

Ces défaites plus que honteuses de Crécy et de Poitiers, venant après la bataille navale de l’Ecluse ou Sluys (1340), près Bruges, où la flotte française avait été complètement détruite, étaient de nature à ruiner à jamais le prestige du pouvoir royal et des chevaliers qui le représentaient avec une insolence si peu justifiée. Il semblait que le temps était venu de voir tomber ces institutions en un mépris définitif, mais la force des habitudes et des préjugés héréditaires est telle que cette succession de désastres, quoique blessant la chevalerie à mort, lui laissa pourtant prolonger pendant près d’un siècle sa néfaste existence. La féodalité eut même, dans le royaume dévasté, une période de renouveau, grâce à sa transformation démocratique par Du Guesclin, qui sut tirer l’enseignement des rencontres précédentes et se servir, pour la reconquête du sol, des éléments populaires organisés en bandes avec les armes qui leur convenaient, suivant leur génie propre et leurs affinités de mœurs et de langage. Les guerres prirent ainsi une forme spontanée et révolutionnaire à laquelle le peuple même apportait autant de passion que les nobles. C’est en Bretagne surtout que la lutte acquit son caractère le plus national, le plus contraire à une bonne entente avec l’Anglais. Bien différents des habitants de la Guyenne, les Bretons n’étaient pas encore entrés dans la période industrielle et commerçante ; ils n’avaient pas de denrée précieuse à vendre comme l’étaient, par exemple, les vins de Clairac (Claret) et autres produits du Bordelais. D’ailleurs, les rudes Armoricains n’avaient pas la souplesse du Gascon et s’accommodaient

  1. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, p. 32.