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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/20

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l’homme et la terre. — les communes

vocable pour lui donner une acception semblable. Il était appliqué autrefois par les humanistes à la période pendant laquelle les écrivains n’employaient plus les formes classiques de la langue parlée depuis Cicéron jusqu’au règne de Constantin, mais s’exprimaient néanmoins en phrases latines. C’est au point de vue spécial de ce langage considéré comme le seul digne de servir à l’expression de la pensée que les siècles étaient divisés en âge supérieur, en âge moyen ou moyen âge et en âge inférieur, celui qui vit l’abandon du latin comme langue usuellement écrite et la formation littéraire des langues modernes[1]. Peu à peu, par une évolution lente dans l’emploi des termes, les historiens réunirent l’âge moyen et l’âge inférieur des philologues pour en faire le moyen âge, pris dans l’acception actuelle de période d’obscurité relative, de nuit entre les deux jours de la pensée.

Vico, dans sa Science Nouvelle. prit les siècles du moyen âge comme exemple de ce retour des âges après l’achèvement complet d’un cycle de l’histoire, marqué par la chute de l’empire romain. D’après lui, l’humanité recommençait le cours de son existence par un état de barbarie analogue à celle des temps les plus anciens mentionnés par les légendes. Il assimile les deux phases en en comparant tous les traits de fureur et d’ignorance. Il va même jusqu’à dire que, dans ces temps « malheureux » de la deuxième barbarie, « les nations étaient retombées dans le mutisme », puisque plusieurs siècles ne nous ont laissé aucun écrit en langues vulgaires et que le latin barbare du temps était compris d’un petit nombre de nobles seulement, tous ecclésiastiques[2] !

Sans doute cette délimitation entre le corso des temps classiques et le ricorso des âges d’ignorance n’eut pas la précision qu’imagine Vico, mais du moins, pour l’Europe occidentale, répond-elle à une réalité historique de premier ordre. Pour d’autres parties de la Terre, notamment pour l’Arabie, la Perse et la Syrie, qui resplendirent soudain, animées d’une foi nouvelle puis restaurées par la connaissance de la Terre, le développement des sciences et le progrès des arts et des lettres, les mêmes siècles, ici l’âge des ténèbres, furent là l’âge de la lumière par excellence. Le moyen âge, c’est-à-dire la phase de rétraction, de souffrance et de mort apparente, n’exista que pour les chrétiens d’Europe et coïncida avec la période pendant laquelle le christianisme, sous sa forme catho-

  1. Godfr. Kurth, Congrès Scientifique international des Catholiques, tenu à Fribourg en 1877.
  2. Science Nouvelle, édit. franç. de 1844, pp. 373, 374.