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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/214

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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

en foule, prêts à chevaucher jour et nuit jusqu’au bout de leur course, n’ayant d’autres provisions qu’une poche pleine de koumis et des briquettes de lait condensé, car les pasteurs mongols n’avaient pas attendu nos chimistes modernes pour apprendre l’art de conserver le lait sous une forme solide. Quand toute nourriture venait à leur manquer, ils sautaient à bas de leur monture, lui ouvraient une veine, se restauraient d’une gorgée de sang, puis, après avoir fermé la plaie avec une substance astringente, se remettaient en selle. Chaque guerrier poussait devant lui ses chevaux de rechange, jusqu’à dix-huit, disent les chroniques, et de hauts nuages de poussière se propageaient à travers les plaines comme une fumée d’incendie, annonçant, parfois des heures ou des jours à l’avance, le déluge d’hommes qui s’approchait des populations vouées à la mort. Derrière ces avant-gardes, le gros de la nation cheminant à son aise n’avait pas besoin de convoi d’approvisionnements ; ses troupeaux lui suffisaient ou du moins lui permettaient d’attendre la razzia faite sur le bétail de l’ennemi.

Les larges fleuves n’arrêtaient point ces nomades. En hiver, ils passaient sur la glace ; dans les autres saisons, ils construisaient des cadres en bois entre lesquels ils tendaient des nappes de cuir où ils plaçaient les armes, les objets précieux, parfois les femmes et les enfants : on attachait ces cadres à la queue des chevaux, et le convoi, entraîné contre le courant, traversait le fleuve sous la protection des archers qui, rangés en deux bandes à l’amont et à l’aval, étaient prêts à fondre sur les ennemis lorsque ceux-ci attendaient sur la rive opposée ; souvent aussi ils faisaient choix d’un passage où, le flot les déposant sur une pointe de sable, ils pouvaient se réformer en ordre de combat. On raconte que maintes fois les Mongols capturèrent des embarcations à la nage, comme le firent plus tard, pendant la guerre de l’Indépendance sud-américaine, les Llaneros du Venezuela, autres nomades que l’on vit un jour attaquer et conquérir une flottille espagnole en plein fleuve Apur, accompagnés, il est vrai, dit la légende, par un escadron de héros invisibles, el escadron de las ànimas.

L’adresse de ces cavaliers mongols, se mouvant avec une liberté parfaite sur leurs montures comme s’ils ne faisaient qu’un seul corps avec elles, leur permettait aussi d’attaquer les ennemis suivant une tactique inusitée et d’autant plus dangereuse pour l’adversaire. Si, en arrivant au grand élan de leurs chevaux, ils se heurtaient à une masse d’infanterie