Aller au contenu

Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
318
l’homme et la terre. — la renaissance

çaient en paix, et le droit des gens y était respecté. Il existait des traités réguliers entre les communautés des deux rivages opposés ; des colonies de marchands s’étaient fixées dans les villes mauresques, les personnes et les biens étaient sauvegardés, et même le chrétien étranger avait le droit d’élever des églises à côté des mosquées. Les souverains de la Maurétanie, notamment les rois de Tlemcen, avaient à leur service des milices chrétiennes : pendant trois siècles, jusqu’à la fin du quinzième, le va-et-vient se faisait librement de la Provence et de l’Italie à toute la côte barbaresque et dans les villes de l’intérieur. Les galères vénitiennes, dites « de Barbarie », partaient régulièrement du Lido dans la seconde quinzaine de juillet, puis faisaient escale à Syracuse, à Tripoli, Djerba, Tunis, Bougie, Alger, Oran, pour terminer leur voyage au port de Honeïn, ville aujourd’hui détruite, qui servait d’échelle à Tlemcen[1].

Mais lorsque, en 1509, le roi Ferdinand, le conquérant astucieux, eut fait débarquer soldats et missionnaires sur le rivage d’Afrique et qu’il eut pris pied dans la ville d’Oran, tout changea. Les musulmans comprirent qu’on en voulait non seulement à leur territoire, mais aussi à leur foi, à leur vie, et que le seul moyen de salut était de se défendre à outrance, puis, après avoir repoussé l’envahisseur dans la mer, de fermer complètement le pays aux chrétiens, à leur influence, même à leur trafic. La victoire de l’Espagne eût été le triomphe de l’Inquisition, et d’une Inquisition non moins féroce que celle dont la lèpre et la flamme dévorèrent les Espagnols eux-mêmes. Cependant, les armées de Ferdinand le « Catholique » et, plus tard, celles de Charles-Quint avaient une si grande force offensive que la conquête de la Maurétanie, du moins de toute la région du littoral, se serait certainement accomplie, si l’Europe n’avait été alors occupée de l’entreprise immense de l’exploration et de la colonisation du Nouveau Monde et surtout de ses guerres d’ambition, en Italie et dans toute l’Europe occidentale. Les Maures d’Afrique, aidés des populations berbères, purent donc résister à la fougue des conquérants espagnols, non sans faire appel aux Turcs et sans laisser leurs ports aux mains des pirates. Les tentatives avortées des envahisseurs chrétiens n’eurent pour résultat que de couper désormais toute communication pacifique entre les deux littoraux de la Méditerranée, celui du Christ et celui de Mahomet. Le recul de la civilisation dans ces parages se fit d’une

  1. La Mas-Latrie, Traité de Paix et de Commerce.