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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/378

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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

Martin Luther, j’ai pour ma part tué les paysans, car j’ai ordonné de les frapper à mort ; leur sang coule sur mon cou, mais je me décharge de cette responsabilité sur notre seigneur Dieu, lequel eût enjoint de parler comme je l’ai fait »[1].

Lorsque les paysans de Waldshut, près de la frontière helvétique, déployant le drapeau noir-rouge-or, le 24 du mois d’août 1524, eurent décidé de fonder la fraternité « évangélique » des paysans, de porter la « guerre contre les châteaux, les couvents et les prêtres », puis de lutter sans trêve jusqu’à libération de tous les frères asservis de l’empire, la frayeur avait été générale dans le monde des seigneurs. De puissantes hordes s’étant rassemblées en mars 1525, plusieurs nobles implorèrent la faveur d’être reçus parmi les « frères », de nombreuses villes s’allièrent aux paysans confédérés ; ceux-ci gagnèrent même des victoires en bataille rangée contre les chevaliers et leurs mercenaires. Mais quand on s’aperçut que les paysans n’osaient pas profiter de leurs succès et se proclamaient toujours de loyaux et fidèles sujets de l’empereur, on reprit courage et la fureur s’accrut de toute la peur qu’on avait eue. La répression fut terrible, et les meurtres et tortures n’auraient point cessé s’il n’avait fallu quand même aux seigneurs des valets, des corvéables et des soldats. C’est là ce que les amis de Casimir de Brandebourg lui firent remarquer, lorsqu’il avait déjà massacré cinq cents malheureux de sang-froid : « Mais si nous devons tuer tous nos gens, où trouverons-nous d’autres paysans pour en vivre » ? On se contenta, d’après l’évêque de Spire, d’en faire périr environ cent cinquante mille ; mais avec quelle joie furieuse se lança t-on sur les révoltés intelligents qui avaient la conscience de leur œuvre, comme Thomas Münzer ! Avec quel raffinement de volupté brisa-t-on leurs os et versa-t-on leur sang goutte à goutte dans les chambres de torture !

Et cependant, la logique des événements entraînait vers une liberté pratique absolue les hommes auxquels le protestantisme avait accordé malgré lui la liberté d’examen. Parmi ceux qui avaient ouvert la Bible, il en était dont l’ambition était de reconstituer cette Église des premiers jours, qui avais mis en commun tous les biens terrestres pour n’avoir à s’occuper que du salut éternel. Les « anabaptistes » des villes hollandaises et du nord-ouest de l’Allemagne, réformés qui voyaient dans le baptême

  1. Tischreden, édition Reclam, p. 194.