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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/466

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l’homme et la terre. — colonies

lation locale ; mais, tant que les conquérants espagnols eurent à leur disposition, en héritage des Inca, les Indiens du plateau pour leur imposer la corvée jusqu’à ce que mort s’en suivît, la seule préoccupation des maîtres fut d’extraire le métal et encore le métal. Atteindre directement l’or tangible et lourd en masses énormes, telle fut la frénésie. Aussi, le faste plus que royal, l’ostentation agressive, l’arrogance prirent les proportions de la folie par l’effet de ces fortunes sans limites que le travail des Indiens faisait sortir de terre. Un des vice-rois du Pérou, le duc de Palata, qui régnait vers la fin du dix septième siècle, fit paver une rue en argent massif pour que, lors de son entrée triomphale dans la ville de Lima, il ne foulât point la terre sordide sur laquelle passaient les vulgaires mortels : cette fantaisie lui coûta, dit-on, quatre cent millions de francs. Mais pour élever un beau monument, pour peindre ou sculpter une véritable œuvre d’art, les ressources manquèrent toujours.

On attribue d’ordinaire à l’extermination directe la dépopulation du Pérou et des autres contrées minières de l’Amérique. C’est là une erreur, puisque les Péruviens, dressés à la docilité absolue, ne luttèrent pour leur indépendance ou ne se révoltèrent qu’en de rares occasions, et seulement dans le voisinage des grandes forêts, où des tribus de fugitifs, retournés à la sauvagerie, avaient repris un peu de la vaillance que donne la vie libre parmi les arbres et les bêtes. Le dépeuplement du plateau minier fut la conséquence fatale de la corvée ; quant à celui des régions côtières, le long du Pacifique, il était en grande partie antérieur à la conquête. Des villes nombreuses du littoral étaient déjà ruinées par l’effet des guerres qui avaient eu lieu entre les indigènes. D’ailleurs, on s’était beaucoup exagéré la population probable des villes de la côte. Sans doute, les ruines du Gran Chimu occupent un espace énorme, comparable à celui de l’antique Memphis, mais les constructions furent élevées à des époques différentes, en sorte que les demeures habitées étaient séparées par des décombres ; en outre de vastes espaces aménagés pour les cultures s’étendaient comme aujourd’hui entre les divers villages de la plaine : toute la tribu des Chimu, évaluée au plus à une cinquantaine de mille individus, vivait à l’intérieur des limites urbaines et y trouvait sa nourriture[1].

Sur les versants des Andes, les Espagnols n’occupèrent que de bien étroites bandes de terrain, en dehors du royaume des Inca. Dans le terri-

  1. Adolphe Bandelier. — Hodge, American Anthropologist, Sept 1897.