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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/471

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la royauté et les banquiers

région des Andes possédait de l’or et des émeraudes : aussi Fredemann n’était-il pas seul à franchir les montagnes, les neiges et les vallées profondes pour atteindre ce pays de promission, où vivait le fameux roi « Doré », l’ « El Dorado », qui se baignait dans un lac, après s’être recouvert de sable d’or. Trois bandes européennes de pillards se rencontraient à la fois sur le haut plateau : l’une, celle de Fredemann, qui semblait descendre du haut des nuages de l’Est ; la deuxième, celle de Belalcázar qui, des volcans de Quito, était apparue dans la fournaise de la vallée magdalénienne pour remonter ensuite vers les hautes terres ; la troisième, celle de Quesada, qui venait du port de Santa-Marta par des chemins non moins âpres. Les gens des trois bandes que l’on dit avoir été composées exactement du même nombre d’hommes armés — cent soixante — avec l’accompagnement obligatoire de moines, hésitèrent quelque temps entre la guerre et la paix mais finirent par s’entendre moyennant rançon que devait fournir le travail des Indiens. En aucune partie du Nouveau Monde, les Espagnols ne furent plus cruels, avec de plus hideuse méthode. Ce qu’on appelle la piété se mêle si bien à la férocité que de pieux capitaines firent vœu de massacrer chaque jour douze Indiens en l’honneur des douze Apôtres.

La division du travail de conquête et d’aménagement colonial s’était répartie au quinzième et au seizième siècles entre les Espagnols et les Portugais. Les premiers avaient eu les Antilles, le Mexique, l’Amérique centrale, les régions andines et platéennes ; les seconds prirent le littoral brésilien, que leur avait assuré le voyage d’Alvarez Cabral, et s’avancèrent graduellement le long des côtes, d’un côté vers l’Amazone, de l’autre vers la Plata, bien au delà des limites que leur accordaient en longitude le traité de Tordesillas et la bulle du pape Alexandre VI : dès l’année 1616, ils arrivaient à Para sur le réseau des rivières qui forment le parvis des régions amazoniennes. Ils ne trouvèrent point devant eux de nations organisées qui pussent leur résister, comme les Aztèques et les Maya à Cortez, les Araucans aux Almagro et autres chefs de bandes qui lui succédèrent. N’ayant d’autres adversaires que des hordes sans consistance, ils avancèrent à leur gré partout où ils reconnaissaient intérêt à le faire ; mais, colons ou guerriers, ils étaient en si petit nombre que le territoire réellement occupé par eux se bornait à quelques points du littoral ainsi qu’à un arrière pays très rapproché, entouré de forêts