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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/520

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l’homme et la terre. — le roi soleil

rangée de places fortes, double ou triple, suivant le danger présumé, que les souverains ennemis dressèrent au milieu des campagnes disputées. Les historiens parlent en souriant des prodigieux et vains efforts des empereurs de Chine élevant la « Grande Muraille » pour arrêter les incursions mongoles, mais que dire de ces chaînes de forteresses qui s’alignent menaçantes le long d’une frontière mobile, incessamment déplacée, et qu’il a fallu maintes fois reconstruire, pourvoir de nouveaux outillages de guerre, transformer pour les raser ensuite et les rebâtir encore ; un mur d’argent n’eût point autant coûté que ce rempart dont chaque fort, baigné de sang humain, porte un nom dans l’histoire des massacres. Les guerres de Louis XIV nous montrent, pendant plus d’un demi-siècle, le brusque va-et-vient de cette ligne militaire de partage, d’abord se repliant en pointes agressives vers le Nord, puis s’infléchissant défensivement vers le Sud.

Au delà du massif des Ardennes, une autre ligne de forts, entre l’Alsace et le Palatinat, marquait une autre frontière artificielle, servant alternativement pour l’attaque ou pour la défense, suivant les vicissitudes des campagnes de guerre et de la diplomatie. Ces ouvrages militaires, s’étendant jusqu’aux bords du Rhin, devaient couvrir au nord la grande plaine de l’Alsace, terre nouvellement acquise, dont le maintien dans l’ensemble des provinces françaises était d’autant moins assuré que la population se rattachait à l’Allemagne d’outre-Rhin par la langue, les traditions et les mœurs. Pourtant cette conquête ne fut point arrachée à Louis XIV ; l’Alsace devait rester pendant deux siècles annexée à la France, et même s’unir sincèrement à elle en un sentiment de collectivité nationale. La reprise par les armées allemandes de la rive gauche du Rhin, en 1870, a été en réalité un phénomène de réaction directe contre les agissements de Louis XIV, car les ravages du Palatinat ordonnés par lui ne furent jamais oubliés en Allemagne et fournirent le texte le plus souvent commenté par l’évangile de la revendication nationale. Alors, comme vers la fin de la guerre de Trente ans, l’unique stratégie consistait à créer la famine pour l’armée ennemie et pour les populations qui eussent pu la nourrir. « Manger le pays, ou du moins n’y rien laisser de mangeable, voilà quelle était l’œuvre poursuivie. » (Carlyle.)

Dans son infatuation, le maître infaillible, Louis XIV, en guerre avec l’Europe, n’avait pas craint d’envoyer à ses propres ennemis le renfort