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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/536

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l’homme et la terre. — le roi soleil

par la Hongrie, où chrétiens et musulmans se débattaient en d’incessantes guerres, et par la Pologne, qui, avec la Suède et les petits États baltiques, barrait complètement le passage entre l’Allemagne et la Russie, types de ces « États-tampons » qui existèrent de tout temps, avant d’avoir été inventés à nouveau par la diplomatie moderne.

Déjà depuis la fin du quinzième siècle, la domination des Tartares de la Horde d’or avait cessé dans la Russie centrale, et le « grand prince et autocrate » Ivan III avait pris pour symbole l’ancien blason bysantin de l’aigle à double tête cherchant sa proie aux deux côtés de l’horizon ; cependant la Russie n’était pas entièrement européenne, puisque, près d’un siècle plus tard, en 1571, les Tartares de la Crimée faisant un retour offensif avaient pénétré jusqu’au centre de la grande plaine russe, brûlé Moscou et traîné cent mille captifs en esclavage. À cette époque régnait Ivan IV, à bon droit dit le « Terrible ». Ce maître redoutable, qui reste dans l’histoire un des types de la férocité brutale, était aussi un protestant à la manière de son contemporain Henri VIII : tout en acceptant les dogmes traditionnels et en pratiquant les cérémonies accoutumées, il entendait que le clergé fût à ses ordres et à sa merci.

Le métropolite de Moscou ayant hasardé quelques timides remontrances à propos d’actes sanglants commis par le tsar, celui-ci quitte Moscou à improviste en plein hiver et s’installe avec sa garde dans un village voisin d’où il signifie au métropolite son intention d’abandonner son empire, dont le clergé protège les boyards coupables et les soustrait à la colère du souverain. Atterrés par cette missive qu’ils savent être pleine de menaces et, d’ailleurs, trop façonnés à la servitude pour s’imaginer une nation libre s’administrant elle-même, les Moscovites s’empressent de rappeler leur tsar qui, désormais, peut torturer, tuer, et massacrer à sa fantaisie. Il se fait donner en propriété privée un grand nombre de villes et de districts dont les jeunes hommes lui appartiennent comme sa chose et dont il fait, suivant l’occasion, ses soldats ou ses bourreaux, sévissant tout d’abord contre l’irrespectueux métropolite.

Guerroyant de tous les côtés, au sud contre les Tartares, à l’est et au nord contre les populations asiatiques et finnoises. Ivan en voulait surtout à ses voisins occidentaux, plus riches, plus instruits, plus civilisés que lui. La ville ci-devant glorieuse qui avait été la « grande Novgo-