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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/66

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l’homme et la terre. — les communes

à Toulouse même, devant la résidence du comte, et deux moines de Cîteaux, nommés « juges des hérésies », devinrent les véritables maîtres de la cité : ce furent les premiers inquisiteurs, ceux qui fondèrent, pour une période de plus de six siècles, l’effrayant tribunal des cachots, des tortures et des bûchers. Aux moines armés du glaive spirituel, vinrent se joindre le légat du Pape, Pierre de Castelnau, et le missionnaire fanatique, « frère Domingo » ou Dominique, chanoine d’Osma, « le plus humble des prédicateurs »>, disait-il, mais un de ceux qui parlèrent le plus haut au nom de la volonté divine. Ce premier des dominicains fut avant tout un maudisseur. Les calembours, les coïncidences fortuites de noms eurent toujours une grande part dans les impressions que reçoit la foule et qui fixent pour longtemps ses légendes. Ainsi le chien symbolique des dominicains — Domini canis — justifiait dans l’imagination populaire les aboiements et les furieux assauts des moines blancs contre tous les hérétiques, de même que Pierre était réputé le fondateur de l’Eglise parce que tout édifice repose sur une « pierre d’angle » : Tu es Petrus et super hanc petram ædificabo.

Mais l’œuvre de purification n’avançait pas assez vite. C’est alors, en 1207, qu’Innocent III fulmina sa dernière menace contre Raymond, admirable exemple du langage diplomatique de l’époque : « Si nous pouvions ouvrir ton cœur, nous y trouverions et nous t’y ferions voir les abominations détestables que tu as commises. Mais parce qu’il parait plus dur que la pierre, on pourra difficilement y pénétrer en le frappant avec les paroles du salut… Cependant, quoique tu aies péché grièvement, tant contre Dieu et contre l’Eglise en général que contre nous en particulier, nous t’avertissons et nous te commandons de faire une prompte pénitence, proportionnée à tes fautes, afin que tu mérites d’obtenir les bienfaits de l’absolution. Sinon, comme nous ne pouvons laisser impunie une si grande injure faite à l’Eglise et même à Dieu, sache que nous te ferons ôter les domaines que tu tiens de l’Eglise, et, si cette punition ne te fait pas rentrer en toi-même, nous enjoindrons à tous les princes voisins de s’élever contre toi, comme ennemi de Jésus-Christ et persécuteur de l’Eglise, avec permission à chacun d’eux de retenir toutes les terres qu’il pourra t’enlever, afin que le pays ne soit plus infecté d’hérésie… »

Cette permission de pillage accordée aux voisins fut plus efficace que les objurgations, les anathèmes et les prières. La croisade prêchée contre le midi des Gaules fut surtout une affaire dont l’hérésie était le prétexte :