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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/161

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utilisation de la nature

temps, il fut d’usage, dans le langage ordinaire, de se traiter mutuellement, à travers le détroit, de « cochon d’Anglais » et de « grenouille française » ? Même, en mainte contrée, ainsi en Hollande, on se hait et l’on se craint de village à village. Pourquoi ? Parce que, appuyés sur des formes différentes du christianisme, les pères et les aïeux se sont haïs. La férocité se transforme en devoir[1].

L’esclavage, conséquence de la guerre, ne se comprend que par la méconnaissance absolue de tout droit chez l’homme asservi. L’esclave n’a plus les qualités humaines, il n’a point d’ « âme », il n’existe pas. Et ce qui est vrai de l’esclave que l’on a sous la main devient également, vrai de l’esclave éventuel ou futur, de l’ennemi ou du membre d’une tribu étrangère : il ne peut avoir de droits, ne peut s’attendre à aucun respect. Les exceptions qui se produisent pour les nécessités du commerce, pour les pratiques traditionnelles de l’hospitalité ou la réception des ambassadeurs sont écartées de la morale courante, mises à l’abri de sanctions religieuses ; mais il n’en est pas moins considéré comme juste d’avoir « prise » contre l’ennemi, l’ « homme de rien[2] ».

L’union des hommes pour le travail en commun se complète naturellement, dès les âges de l’animalité, par l’utilisation et même par des transformations de la nature.

C’est ainsi que les primitifs durent s’associer pour se faire, comme les singes et tant d’autres animaux, des lits d’herbes ou de feuilles, et des toits de branches juxtaposées ou même entremêlées. L’oiseau et l’épinoche ne se construisent-ils pas des nids ? Le castor ne se maçonne-t-il pas des écluses contenant une demeure pour sa famille ? Le singe n’a-t-il pas un gîte bien aménagé, à mi-hauteur des arbres, avec plancher et plafond de rameaux[3] ? Comme eux, l’homme avait spontanément appris à profiter largement des produits végétaux de la terre : marmottes, abeilles et fourmis ne lui avaient-elles pas enseigné à faire en été des provisions pour l’hiver ?

Mais, suivant la diversité des milieux, des circonstances différentes firent naître des formes spéciales d’agriculture, dues, non à l’initiation de l’homme par ses « frères inférieurs », mais à son génie propre, à son esprit d’observation, guidé par les nécessités de l’existence. Ainsi les

  1. Léon Cladel, La Fête votive de Saint-Barthélémy Porte-Glaive.
  2. Eduard Meyer, Die Sklaverei im Alterthum, p. 10.
  3. Tylor, Anthropology, p. 229.