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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/24

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l’homme et la terre. — origines

on pourrait donner le nom de « pro-lalie » ou « avant-langage », peut être considérée comme antérieure à l’humanité spéciale : l’Homme ne constitua l’espèce nouvelle qu’en cessant d’être alalus[1].

L’étude des formes animales qui nous rattachent aux quadrupèdes et aux reptiles appartient à l’ère pré-humaine, caractérisée par plusieurs espèces d’anthropoïdes (Dryopithecus, Pliohylobates, Anthropodus, Paleopithecus, Gryphopithecus, Oreopithecus[2]), et surtout par le Pliopithecus antiquus, dont on a trouvé un fragment de mâchoire près de Sansan, dans la vallée du Gers, et qui semble être l’animal le plus voisin de l’homme que l’on connaisse ; de là, sans doute, cette répugnance instinctive que nous avons pour le singe : nous nous reconnaissons trop en lui. Le vieil Ennius l’a dit :

Simia quam similis turpissima bestia nobis[3].

Peut-être le pithécanthrope[4] fossile que le médecin Eug. Dubois a découvert, en 1894, dans les cendres volcaniques du quaternaire ancien de Java, près de Trinil, en compagnie d’animaux fossiles, dont quelques-uns appartenaient à des genres aujourd’hui disparus, fut-il l’intermédiaire cherché, l’ « anneau manquant de la chaîne » unissant l’homme à ses ancêtres du monde animal : par son attitude et par sa taille (1m,657), qui est celle de l’homme moyen, par son crâne, dont la capacité (900 à 1 000 centimètres cubes) dépasse de près d’une moitié la plus forte contenance cérébrale des crânes appartenant aux plus grands anthropoïdes connus, le pithécanthrope paraît bien réellement faire partie de notre lignée humaine, en nous rattachant aux hylobates ou « gibbons », ceux des singes qui se rapprochent le plus de nous par la conformation et qui descendraient comme nous des mêmes ancêtres animaux[5].

D’après Manouvrier, il serait probable que ce « singe-homme », l’Homo javanensis, ne possédait pas le langage articulé, ce caractère le plus précieux de l’humanité proprement dite.

L’étroitesse frontale, qui se prolonge très loin sur le crâne de

  1. H. Drummond, Ascent of Man.
  2. Georges Engerrand, Notes manuscrites.
  3. Le singe, bête très laide et combien semblable à nous !
  4. Eug. Dubois, Pithecanthropus erectus, Eine menschenähnliche Uebergangsform aus Java, Batavia, 1894 ; Manouvrier, Revue scientifique, 30 nov. 1895 ; 7 mars 1896.
  5. Ernst Hæckel, The last Link, p. 22 à 28.