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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/452

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l’homme et la terre. — iranie

sous sa forme antique, s’est presqu’entièrement perdue, tandis que les contes populaires, les fables, les énigmes, les proverbes se sont en grande partie maintenus textuellement : aussi loin qu’on remonte dans le passé vers les origines iraniennes, ces précieuses expressions naïves de la pensée humaine se retrouvent presque identiques. Dans leur texture même, ces récits, reproduits de bouche en bouche sans qu’aucune censure s’exerce entre la nourrice et l’enfant, gardent le caractère d’ancienneté : nulle transmission de pensée ne s’est faite d’une façon plus conservatrice, malgré les innombrables variantes qui proviennent de la nation, de la civilisation ambiante et de la personnalité du conteur. De même, dans le monde chrétien, les contes de fées se sont perpétués presque sans changement, comme ils s’étaient légués de mère en fille, sans que l’idée d’un Dieu personnel y ait pénétré. Il est facile de reconnaître dans les récits modernes et ceux du moyen âge tout ce que les prêtres et les écrivains y ont interpolé : le vieux fonds antérieur au christianisme y est encore parfaitement distinct. Des révolutions de la plus grande importance sociale peuvent s’accomplir sans que l’état primitif de la fantaisie populaire en soit modifié : c’est ainsi que, dans les nombreux recueils des contes russes, se trouvent à peine quelques traces du servage des moujiks[1].

Le déplacement très fréquent de la cité choisie comme centre de la nation pour l’attaque ou pour la défense — fait capital qui frappe l’historien de l’Iranie — s’explique par la position géographique de la Perse. Traversée par les chemins nécessaires que devaient prendre les populations agricoles entre l’Orient et l’Occident, la contrée tournait son attention tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, suivant les attractions ou les périls. Le centre de gravité du pays changeait donc de siècle en siècle, et souvent d’une manière soudaine.

La solide et précise individualité géographique de l’Iran, avec sa bordure de hautes montagnes, permet de la comparer à un lutteur que plusieurs adversaires combattent tour à tour. Selon les assauts qu’il subit, il doit fréquemment changer de posture, frappant de droite et de gauche, d’estoc et détaille. C’est principalement vers l’ouest que se

  1. Eugène Hins, La Russie dévoilée au moyen de la Littérature populaire. L’Epopée animale, pp. 8 et 9.