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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/468

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l’homme et la terre. — Caucasie

par les peuples, du plateau de l’Iran aux rivages méditerranéens, pointaient vers ces monts comme vers une région où des peuples puissants avaient leur origine et où des événements d’importance majeure dans la destinée de l’homme s’étaient accomplis. Mais « les extrêmes se touchent  », bien plus encore dans le monde chaotique de l’ignorance que dans le conflit des passions humaines. Les mêmes prodiges, les mêmes événements que l’on signalait comme ayant eu lieu sur les cimes du mont Caucase étaient ceux qui s’étaient accomplis pour les Hindous sur les pics de l’Himalaya et pour les Iraniens sur l’Elvend ou le Demavend ; c’étaient également ceux qui, de l’autre côté de l’Ancien Monde, devaient se produire sur les sommets des monts occidentaux. L’Atlas porte le Ciel — ou la Terre — ce que la logique se refuse à comprendre, mais qui est un jeu pour la fable ; de même le « mont à la double pointe », c’est-à-dire l’Elbruz actuel, est le berceau des Dioscures — les deux étoiles Castor et Pollux —, et la draperie frangée de ses neiges se rattache au voile immense du firmament. D’après la légende hellénique, héritage de nations plus anciennes, un Titan, « voleur de feu », fut cloué sur le mont Caucase par la jalousie des dieux. Mais avant lui, combien d’autres Prométhées avaient été fixés au sommet d’une montagne, écrasés sous le poids des rochers. C’est ainsi que Zohak hurlait vainement dans une caverne du Demavend, de même que plus tard Encelade tendait ses muscles impuissants à renverser la masse de l’Etna. Les légendes voyagent avec les peuples de cime en cime.

Si peu connu que fût le mont Caucase comme orientation, forme et relief, du moins était-il désigné très justement comme une limite entre deux mondes. Le Caucase est un fragment du « diaphragme » qui sépare le continent d’Asie en deux versants, du nord et du sud, et qui se continue en Europe par des crêtes interrompues, monts de la Tauride, Alpes, Pyrénées et monts Cantabres. Mais de toute cette succession d’arêtes, aucune n’est plus nette, plus franchement découpée que celle du Caucase proprement dit, qui se profile de la mer Caspienne à la mer Noire ; la continuité de la saillie terrestre est bien marquée de part et d’autre. L’extrémité occidentale du rempart caucasien s’affile en pointe de lance vers la péninsule de Taman pour reparaître, après une courte interruption, dans les montagnes de Crimée ; les massifs orientaux semblent brusquement limités par les eaux de la Caspienne,