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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/102

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l’homme et la terre. — palestine

« Forces » ou les « Génies », l’était bien plus clairement encore par l’expression de Tsebaoth, les « Armées », les « Séries », les « Ordres » ; tandis que les Elohim étaient surtout révérés chez les Juifs, les Tsebaoth avaient leur culte chez les Israélites, principalement dans la tribu d’Ephraïm. Ce terme, traduit dans le grec gnostique par « Eon », fut emprunté probablement aux peuples de l’Orient[1]. Les uns et les autres, Elohim et Tsebaoth, constituaient l’ensemble hiérarchisé du monde surnaturel comprenant d’innombrables divinités mais tendant déjà à s’unir en un seul Dieu aux manifestations infinies.

En effet, le nom pluriel des Dieux, Elohim, était fréquemment abrégé en un singulier — El —, résumant toutes les forces distinctes qui constituent le monde surnaturel, et ce mot acheminait la pensée vers l’idée d’un maître souverain unissant toutes les énergies divines en une seule volonté : c’est dans ce sens que s’employait le nom de « Dieu des Armées », appliqué aux armées célestes des astres et des génies, non aux troupes d’hommes qui se heurtent et s’exterminent. Cette hiérarchie des forces astrales aboutissait au monothéisme.

Plusieurs tribus sémitiques étaient désignées par des noms qui les mettaient sous la protection de tous les dieux unis : Israël, « Celui que El dirige » ; Ismaël, « Celui que EL exauce » ; Raguel, « l’Ami de El ». Même un nom, Caleb, — contracté de Kalb-El, « Chien de El », — exprime avec énergie rattachement absolu d’une tribu ou d’un homme à toutes les divinités représentées par une auguste raison sociale[2]. D’ailleurs, à l’époque des Juges et du roi David, le mot El avait pour synonymes plusieurs autres termes exprimant la supériorité infinie, tels que Baal, Milic, Adonaï. Ce genre de noms, très commun chez les Phéniciens, ne fut complètement interdit aux Hébreux par la religion, puis par la coutume, qu’à l’époque où les prophètes de l’école d’Élie donnèrent à leur culte un caractère d’intolérance absolu : alors de pareilles appellations eussent été considérées comme idolâtriques et blasphématoires.

Renan fait remarquer, après Gesenius, que les noms formés avec les composants Milic et Baal se rencontrent particulièrement dans la famille ou l’entourage de Gédéon, de Saül, de David[3]. C’est que Baal étant le représentant de la civilisation du littoral, plus riche que celle

  1. Paul Carus, Monist, 1890, p. 383.
  2. Ernest Renan, Histoire du Peuple d’Israël, pp. 105 et suiv.
  3. Ouvrage cité, pp. 198, 199.