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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/109

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conception du monothéisme

de Dieu, à la place de Dieu — car tel fut d’abord le sens précis du mot prophète —, sans se préoccuper des lois et des coutumes ; ils parlent quand l’esprit les saisit, sans respect aucun des autorités constituées. Eux aussi, vingt-cinq siècles avant les socialistes, se font les porte-parole de cette éternelle « question sociale » que nient les économistes orthodoxes. Malheureusement, ils ignorent que les opprimés ne trouveront pas de libérateurs en dehors d’eux-mêmes, ils se tournent encore vers un dieu : du moins ce qu’il lui demande est-il l’idéal par excellence : ils lui demandent la justice.

Du coup, l’idée religieuse en est également ramenée vers la morale. À cet égard, le langage des prophètes Amos, Michée, Esaïe prend un caractère d’admirable noblesse. Ces hommes ont des accents dont la puissance d’expression est commune à tous ceux qui cherchent et chercheront le vrai : ils font partie du trésor littéraire de l’humanité. Les prophètes expriment leur dégoût de la forme religieuse, des simagrées et des cérémonies, des sacrifices et des génuflexions ; tout le culte se résume pour quelques-uns d’entre eux dans la pure et simple morale, dans la pratique de la justice et de la bonté[1]. Ils ont l’horreur de la guerre et annoncent que le temps viendra où il n’y aura plus ni archers, ni chevaux, ni chariots armés — c’est-à-dire, dans le langage de nos jours, ni infanterie, ni cavalerie, ni artillerie —, ils rêvent cette fraternité universelle que nous rêvons aussi et dont le mirage a fui devant nous depuis deux mille années. N’ayant plus de patrie, puisque leur territoire est ouvert à toutes les invasions et que d’autre part leurs captifs et leurs émigrants vont sous la conduite des Phéniciens peupler toutes les parties du monde connu, ils embrassent déjà par la pensée l’ensemble de l’Univers et prévoient le jour où les hommes, venus des contrées les plus lointaines, se réuniront autour du temple de Jérusalem pour adorer le dieu de tous les hommes, non par des formules vides de sens, mais en vérité, c’est-à-dire dans la parfaite conscience de ce qui est juste et bon.

Ainsi, sous l’action du temps avec ses évolutions politiques et sociales, ceux qui pensaient en Israël, mais qui pourtant n’osaient pas couper la chaîne qui les retenait à la personnification divine d’un Créateur, Conservateur et Sauveur, en vinrent à la conception d’un

  1. Michée, chap. VI.