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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/120

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l’homme et la terre. — palestine

phrate où près du « Fleuve d’or » de Damas. Les tribus se fractionnent pour la moindre divergence d’intérêts, pour le moindre conflit d’opinions, les frères se séparent courtoisement pour aller habiter à des centaines de kilomètres les uns des autres. Le Bédouin sait se contenir, conséquence de la domination qu’il doit exercer sans cesse sur ses appétits, mais quand le soleil lui brûle le sang, il est tout entier à la fureur de ses passions et s’y rue avec une ténacité de tous les instants, de tout ce qu’il aura de vie. La liberté primaire que lui donne l’existence nomade, la liberté d’aller et de venir, lui assure l’indépendance héréditaire, il fut toujours son propre maître. Le Bédouin descend d’aïeux qui furent libres comme lui, il ne fut jamais asservi dans sa race, et sans jactance, simplement, il regarde avec une noble fierté l’étranger, fils de vaincus. Anarchiste de par son ambiance, il n’a point de chef, — des arbitres seulement, car les cheiks ne sont pas autre chose —, et se laisse dominer, non par des lois, mais par la conception qu’il a de la justice. Personne ne peut lui donner un ordre, mais il reconnaît scrupuleusement les conventions et respecte les jugements de l’opinion publique. Il sait que le sang demande le sang, et si quelqu’un des siens a été lésé, il n’aura désormais plus d’autre souci que celui de la vengeance.

Par suite de la disposition du sol et de la répartition des pluies, ces populations nomades et libres auxquelles on donne actuellement le nom de Bedawi ou Bédouins n’occupent que l’intérieur, au nord et au sud des hautes terres du centre de l’Arabie. Cette partie médiane de la Péninsule, où se sont installées des populations résidantes et où des États aux contours précis ont pu se constituer en conséquence, eut certainement une évolution historique beaucoup plus active et variée dans ses événements que la région des plaines ; mais leurs échos, étouffés par la distance, furent peu entendus des peuples de l’antiquité : les anciennes annales se taisent sur eux. Les seules parties de l’Arabie que leur situation géographique firent entrer dans le cercle d’attraction du monde connu sont les deux bandes littorales du golfe Persique et de la mer Rouge qui continuent au sud, l’une, le bassin des fleuves jumeaux, le Tigre, et l’Euphrate, l’autre, la côte de Syrie et la cassure terrestre dans laquelle coulent l’Orontes et le Jourdain. La bande orientale de l’Arabie qui longe le golfe Persique est favo-