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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/140

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l’homme et la terre. — égypte

des branches nilotiques vers la mer : il commande en même temps la voie qui, de l’ouest à l’est, se porte vers l’isthme de Suez, pour se ramifier, d’un côté vers l’Arabie, de l’autre vers la Syrie et les pays de l’Euphrate. En ce lieu nécessaire, au croisement des routes, la ville mère, parfois rasée par des conquérants, ne manquait jamais de se reconstruire sous un autre nom. Le voisinage de la mer, le soudain élargissement des campagnes comprises entre les bras du Nil assuraient la prédominance historique à la cité placée près de la fourche des rameaux nilotiques, s’appelât-elle Memphis ou le Caire. C’est là que naquit la véritable Égypte et que d’ailleurs elle prit son nom — Gypti, Aigyptos —, d’après un des surnoms de Memphis, Ki-Phtah[1], la « demeure de Phtah », le dieu solaire. Là, plus qu’en toute autre partie de la vallée du Nil, devaient se rencontrer, se superposer et se féconder mutuellement les deux civilisations nourricières, l’une, d’origine méridionale, qui avait donné surtout la taille des instruments et les animaux domestiques, l’autre, de provenance sumérienne, qui apporta l’emploi des métaux et la culture des céréales[2].

Suivant que les révolutions intérieures assuraient la domination à l’une ou à l’autre capitale des deux Égyptes, la politique et l’ensemble de la civilisation prenaient une orientation différente. La ville d’amont, perdue au loin dans l’intérieur des terres, représentait toujours un monde plus fermé, plus strictement opprimé par les prêtres : sa prépondérance correspondait à une période de recul matériel ou moral, tandis que la capitale du nord, en communication beaucoup plus libre avec le reste du monde, entraînait tout le pays dans une période de progrès.

Les indigènes eux-mêmes, conscients de l’unité géographique du pays, limitaient volontiers leur monde à une faible distance au delà des frontières naturelles de la dépression dans laquelle serpente le cours septentrional de leur fleuve. D’un côté, le rebord grisâtre des solitudes constituait la borne infranchie, excepté par les rares visiteurs des oasis, et l’on imaginait dans cette direction l’existence d’un sommet inaperçu, le Manu, qui symbolisait le point cardinal de l’occident ; de l’autre côté, un pic de Bakhu, que l’on croit être le plus haut sommet du massif dominant l’entrée du golfe de Suez, le Djebel

  1. Brugsch, Histoire d’Égypte, pp. 5, 6.
  2. Georg Sehweinfurth, De l’Origine des Égyptiens. Bulletin de la Société khédiviale de Géographie, 2e Série, N° 12.