Aller au contenu

Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
l’homme et la terre. — égypte

Le désert au sol dur, à l’air salubre, ne pouvait, comme les bords fangeux du Nil, donner au laboureur d’abondantes récoltes, décuples, vingtuples de la semence, mais les hommes y restaient vigoureux et sains de corps, audacieux de volonté. « Les nations ne naissent pas dans le limon mou »[1], quoi qu’en dise un mythe d’origine relativement récente. Mais l’individu isolé, le novateur hardi, ne craignant pas de travailler le limon mou, crée les conditions nouvelles qui permettent à la société de surgir derrière lui. Ces premiers stades restant ignorés, il était naturel que le pullulement des nations agricoles sur les terres grasses nilotiques donnât naissance, comme tous les autres faits de l’histoire, à une légende spéciale destinée à prendre la place de celles qui l’avaient précédée.

Ainsi, pouvons-nous affirmer avec Sehweinfurth : avant que les dynasties pharaoniennes pussent amasser dans leurs greniers les magnifiques récoltes obtenues par le travail du « rouge laboureur », les populations errantes qui campaient dans les arides plissements du sol entre le Nil et la mer jouèrent le rôle important de pionniers de l’humanité. Mais on peut se demander si l’initiative de ces travaux, préalables à toute civilisation, appartient en propre aux nomades du désert oriental, ou s’il ne faut pas plutôt en faire remonter l’honneur aux immigrants de l’Arabie Heureuse.

En effet, les pays nubiens, et surtout la partie du territoire qui longe au nord la base du massif éthiopien, présentent une grande valeur historique comme lieux de passage. Les Hymiarites ou autres émigrants du Yemen, qui fut un des plus antiques foyers de civilisation, devaient traverser cette contrée dans leur marche vers l’Occident. Après avoir franchi le détroit, ou bien la mer plus large et semée d’îles qui s’ouvre plus au nord, les voyageurs se trouvaient obligés, soit de monter à l’escalade des plateaux éthiopiens, et sans nul doute, des bandes nombreuses, pacifiques ou guerrières, prirent cette direction, — soit de suivre le littoral vers le nord jusqu’aux larges brèches et aux chemins naturels que surveille actuellement le port de Suakin ; là, se dirigeant vers l’ouest, ils atteignaient par la voie la plus courte les rives du Nil, à Berber ou au grand coude occupé par la ville d’Abu-Hamed, lieux historiques et préhistoriques.

  1. Georg Sehweinfurth, mémoire cité, p. 11.