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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/224

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l’homme et la terre. — égypte

et autres, constituent une véritable encyclopédie de l’ancienne Égypte.

Si grande qu’ait été l’œuvre de destruction, il n’en reste pas moins encore d’admirables édifices que les artistes respectueux visitent en pèlerinage. Thèbes, « aux cent pylônes » — et non aux cent portes car la ville n’est pas fermée —, est une de ces cités saintes avec ses nobles allées de sphynx, sa merveilleuse salle « hypostyle » dont les 134 colonnes sculptées se dressent à 28 mètres de hauteur, ses colosses qui jadis chantaient au soleil du matin, ses porches triomphaux, ses tombeaux mystérieux creusés dans la « montagne de l’occident ». En remontant le fleuve, on s’arrête ainsi d’étape en étape pour revoir les œuvres étonnantes des ancêtres : la plupart des voyageurs pieux dépassent même la première cataracte pour contempler les colosses augustes du dieu-roi Ammon et de Ramsès, taillés dans le roc de grès rouge au flanc de la montagne d’Ibsambul. Non moins curieuses que les temples et les statues sont les carrières de granit, de porphyre et d’autres roches où l’on voit encore les colosses et les obélisques gisant sur le sol en attendant le charroi, ou même à demi engagés dans la masse de la pierre, comme si, quelques minutes auparavant, un brusque appel avait éloigné les ouvriers.

La décadence de l’architecture égyptienne date des grands siècles monarchiques de gloire et de conquêtes. Aux temples primitifs dont les pierres sont polies avec tant de soin et jointes d’une manière si parfaite, succèdent des édifices qui, par la médiocrité de l’exécution, chagrinent et scandalisent les artistes modernes : on croit que les souverains d’alors avaient hâte de voir sortir de terre les monuments élevés à leur renommée et que tout, chez les bâtisseurs asservis, était sacrifié à l’apparence[1]. « L’orgueil marche devant l’écrasement », dit la Bible, et le règne fastueux de Ramsès II, connu sous le nom grécisé de Sésostris, fut le signal par excellence de la régression dans la science et dans les arts. Batailleur, avide de hauts faits, il porta la guerre en Asie pour reculer les frontières de son royaume, et bien qu’il n’eût guère réussi dans ses entreprises, il fit tellement chanter ses louanges, ordonner la construction de tant de pylônes commémoratifs, l’érection de tant de statues colossales, le grattage à son profit

  1. Ernest Renan, Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 40.