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l’homme et la terre. — grèce

aussi un univers à faibles dimensions, avec ses vallons et ses ruisselets, ses rochers et ses criques. Il est inutile d’énumérer toutes ces individualités géographiques : elles apparaissent chacune à son tour dans le grand drame de l’histoire.

De tous ces petits mondes distincts se suffisant à eux-mêmes, il en est un qui parait avoir été tout particulièrement remarquable par ses richesses, ses progrès dans la civilisation et la pratique des arts. C’est la nation des Minyens, qui occupait surtout la riche plaine du Kephissos, entre le Kallidromos, l’Oeta et le Parnasse, et dont la capitale était Orkhomenos, près de l’endroit où s’étendaient naguère les eaux du lac Copaïs. Possesseurs de ce magnifique bassin agricole, très bien arrosé, les Minyens disposaient aussi d’un magnifique port naturel, rade immense où leurs flottilles pouvaient attendre le vent favorable pour aller prendre leur vol vers Lemnos, Thasos ou l’Hellespont, contournant l’Eubée soit par le nord, soit par le sud[1]. Il paraît que les Minyens avaient eu la science nécessaire pour régler l’écoulement du lac Copaïs : des galeries souterraines le faisaient communiquer avec le golfe d’Atalante par une des criques du littoral. Ils avaient donc réussi à augmenter la superficie de leur territoire en prairies et en champs de culture et à purifier le sol de ses eaux marécageuses, l’air de ses germes vénéneux. Après eux, les peuples qui se succédèrent pendant trois mille années ayant cessé d’aménager leur domaine, la fièvre, la pestilence, la misère en firent une contrée triste et dangereuse, au sol perfide, à l’air épais. Il a fallu toutes les ressources de l’industrie moderne pour restaurer l’oeuvre des Minyens.

La péninsule de l’Argolide, si élégamment découpée à l’angle nord-oriental du Péloponèse, entre deux golfes profonds et dans la proximité d’un troisième, celui de Corinthe, fut également habitée par des tribus policées qui, aux origines de l’histoire, nous apparaissent comme un peuple initiateur des autres Grecs. C’est à lui qu’appartenait l’hégémonie de tous les « Achéens » à l’époque légendaire de la guerre de Troie ; Agamemnon, le pasteur des peuples, était roi d’Argos. Cette presqu’île, si facilement abordable de toutes parts, devait recevoir, beaucoup mieux que la plaine fermée des Minyens,

  1. Otfried Müller, Orchomenos und die Minyen.