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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/338

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l’homme et la terre. — grèce

dans les nuages du ciel pour prendre Ormuzd à témoin de son serment de vengeance. Et pourtant sa puissante armée vint se briser contre les Athéniens dans les plaines de Marathon. Pendant dix années de préparatifs, de prodigieuses forces d’attaque, telles que n’en avaient jamais vues les rives de la mer Egée, s’amassèrent contre la petite Grèce ; la terre était couverte de soldats, un million, deux millions d’hommes, dit-on ; la mer était couverte de navires ; les peuples atterrés se prosternaient au passage. Il fallut abandonner Athènes, laisser les barbares raser les demeures et démolir les temples, et Xerxès triomphant avait fait dresser son trône sur le rivage pour contempler à l’aise la destruction de la flotte où s’étaient réfugiés les rebelles. Mais ceux-ci avait gardé pour eux la confiance en eux-mêmes, la certitude d’être les plus sagaces et les plus intelligents, ils le prouvèrent dans le détroit de Salamine. Partout, sur terre et sur mer, à Platées, à Mycale, les envahisseurs perses furent refoulés ou mis en fuite. Les peuples crurent fermement que les dieux, que le Destin avait établi entre l’Asie et l’Europe des limites naturelles, et de part et d’autre on redouta longtemps de les franchir. Se conformant à cette appréciation des choses, les envoyés athéniens, inspirés par Cimon, stipulèrent avec le successeur de Xerxès que désormais ils s’engageaient à ne point attaquer l’empire des Perses, si le roi promettait de ne pas faire entrer ses navires dans la mer Egée et de tenir ses armées de terre au moins à trois journées de la côte[1].

Mais les événements qui se succédaient ne devaient pas faire oublier les journées où l’on vit la déroute des Asiatiques dans les eaux de Salamine et les campagnes de Platées. Par une singulière illusion d’optique, il nous semble, à nous Occidentaux, que Marathon et les autres rencontres furent des faits décisifs où le génie libre de l’Europe triompha définitivement des mœurs serviles qui prévalaient chez les esclaves du « Grand Roi » et qui n’eussent pas manqué de contaminer les vaincus. Toutefois ces mémorables luttes ne furent que de simples épisodes d’un conflit séculaire ou millénaire, comme l’avait été autrefois la guerre mythique de Troie. Plus tard, la lutte devait continuer, mais non plus pour assurer le triomphe de la liberté, puisque le Macédonien, vainqueur des Orientaux, se fit Oriental lui-même, par

  1. L. von Ranke, Weltgeschichte, I, 1, p. 254 et suiv.