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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/392

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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

Indes, il poussa jusqu’au fleuve sacré, la Ganga. Mais, nourris de la civilisation hellénique et désireux de recruter leurs forces dans la patrie commune des soldats mercenaires, les Séleucides ne maintinrent pas leur résidence principale dans la Mésopotamie, pas plus dans la Babylone antique que dans une ville moderne comme Séleucie. Cédant à la force d’attraction de la Grèce, ils fondèrent une deuxième capitale, Antioche, près du golfe d’Alexandrette, à l’endroit qui commande les portes de Cilicie et les routes convergentes de la Syrie et de l’Asie Mineure. Ce lieu, admirablement choisi, à l’issue de la riche vallée de l’Oronte et au point du littoral maritime le plus rapproché de la grande courbe de l’Euphrate, offrait toutes les conditions favorables pour une grande prospérité : aussi s’y développa-t-il rapidement une ville qui prit une importance mondiale et devint bientôt une Tétrapole ou « ville quadruple » recevant de nombreux immigrants : Syriens, Juifs, Arabes, Arméniens, Perses, même des Hindous ; toutefois, ce qui lui donna son caractère par excellence, ce fut l’entrée de tous les éléments de la pensée asiatique dans la forme que leur fournissaient la langue et la culture helléniques. Antioche devint, comme Rhodes et Tarse, comme Pergame et Alexandrie, l’une des grandes écoles du monde méditerranéen de l’Orient.

Mais tout se paie. En se rapprochant de la Grèce, la capitale des Séleucides s’était éloignée du centre naturel de l’empire et n’avait plus une prise aussi puissante sur les terres éloignées, vers le centre de l’Asie. Les deux foyers de la grande ellipse possédaient des avantages différents, celui de l’ouest une culture plus haute, celui de l’est un équilibre naturel mieux assis, et l’abandon de ce dernier eut pour conséquence un rapide amoindrissement du domaine des Séleucides. Les plaines nord-occidentales de l’Inde et les routes des plateaux par lesquelles on y accède furent bientôt oubliées ; de même, la Bactriane, quoique restant sous la domination des princes grecs, séleucides, et même lagides pendant un instant — sous Ptolémée Evergète —, reprit son indépendance et fit perdre aux riverains de la Méditerranée les précieuses relations de trafic qui, par-dessus les grands massifs du centre de l’Asie, commençaient à se nouer avec les populations du monde chinois[1]. Entre la Bactriane et la Mésopotamie s’interposa même un

  1. J.-P. Mahaffy, The Empire of the Ptolemies, p. 199.