Aller au contenu

Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
l’homme et la terre. — phénicie

la Tripolis des Grecs. Rarement puissances rivales donnèrent pareil exemple de sagesse dans la bonne équilibration de leurs intérêts. D’ailleurs, l’emplacement du triple comptoir était si bien choisi que la ville, souvent ruinée, s’est toujours relevée de ses décombres. Tripolis se composait de trois enceintes entourées de murailles, où habitaient séparément les Sidoniens, les Tyriens et les Arvadiens : c’est ainsi que, dans le moyen âge, le vieux et le nouveau Dantzig et les trois villes de Königsberg étaient indépendantes les unes des autres, et défendues par des murailles communes ; souvent même, elles se faisaient la guerre.

Batrun (Bothrys) et Djebaïl (Byblos), dont les sites succèdent au sud à Tarabulos, l’antique Tripolis, rappellent des âges plus anciens : c’est vers ces petits ports du littoral syrien que descendirent les montagnards du Liban pour fonder leurs premières colonies de trafic maritime. L’ancien nom assyrien de Byblos, Gubal, a, le même sens que le mot arabe moderne, Djebaïl, signifiant également « ville des Montagnards ». L’appellation, de même que la raison d’être, a persisté à travers les siècles. La prédominance religieuse de Byblos parmi les villes saintes de la Phénicie est la preuve de son antiquité : la vénération s’attache aux cérémonies traditionnelles consacrées par le temps. C’est à Byblos que régnait Baalat, la « dame » par excellence, la déesse de laquelle naquit le dieu Tammur, l’Adonis des Grecs, qui meurt, renaît chaque année, symbole de la nature qui toujours se détruit et toujours se renouvelle. Les monuments de Byblos ont été nivelés au ras du sol par les prêtres chrétiens ; il ne reste plus de l’ancienne cité que les nécropoles taillées dans le roc et le ruisseau dit actuellement Nahr-Ibrahim, où se mêlent les souvenirs des religions antiques : l’eau rougeâtre, qui vient de raviner les terres argileuses de ses rives, n’est-elle pas le sang d’Adonis, versé par ses inépuisables blessures ? Nulle part le paysage n’est d’un aspect à la fois plus grandiose et plus doux. La « Montagne Blanche ». le Liban, dont les pentes s’élèvent à l’est, montre çà et là, entre les bois de pins, ses escarpements de roches calcaires, d’un gris fin, rendues comme vaporeuses par la distance. Sur les larges terrasses des contreforts apparaissent de gracieux villages dans leurs bouquets de verdure et l’on entend bruire les eaux dans les vallées mystérieuses qui se prolongent au loin entre les racines des monts. La plage, semée de coquillages, tremble sous le choc des longues