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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/482

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l’homme et la terre. — rome

se borner à la défensive contre les invasions possibles des barbares, et appliquer presque toutes ses forces à résoudre les difficultés intérieures : un travail de digestion allait succéder à l’énorme accroissement que venait d’acquérir l’organisme romain.

Les guerres continuelles desquelles Rome était sortie victorieuse avaient fortifié le caractère essentiellement aristocratique de son gouvernement. Ainsi les légionnaires avaient en réalité gagné toutes les victoires contre leur propre classe de prolétaires et de pauvres. Les conquêtes romaines avaient eu un autre résultat : celui de faire converger de grandes richesses vers la cité dominatrice. Tout l’argent accumulé devint l’objet du respect universel, et les patriciens, qui comprenaient parmi eux presque tous les enrichis, ajoutèrent au prestige de leur naissance celui que donne la possession des trésors. Même les plébéiens qui demandaient des terres ne pensaient pas à réclamer le partage des propriétés déjà tombées entre les mains des riches : ils se bornaient à vouloir leur part des terres publiques.

Ainsi tous les pouvoirs appartenaient à la même classe. Les riches seuls étaient magistrats parce que seuls ils pouvaient acheter les charges ; seuls ils étaient sénateurs parce que le cens qui permettait d’obtenir cette fonction nécessitait l’opulence du candidat. Rien ne donne une idée plus nette de cette oligarchie que le simple fait cité par Duruy : de l’an de Rome 453 à l’an 603, il y eut lieu de nommer trois cent cinq consuls, neuf familles fournirent, à elles seules, cent soixante-quinze de ces magistrats ! La puissance appartenait donc à la fortune, sinon toujours dans les affaires intérieures, car on avait à craindre parfois des soulèvements populaires, mais dans toutes les choses de la politique extérieure. En cette partie, le Sénat était maître absolu. C’était lui qui recevait les ambassadeurs, qui, concluait les alliances, qui distribuait les provinces, répartissait les légions, ratifiait les actes des généraux, déterminait les conditions faites aux vaincus. Il avait en main l’exercice dé tous les pouvoirs qui, dans les cités républicaines, appartenait naguère à l’assemblée populaire en son entier[1].

Pour combattre avec succès cette omnipotence du sénat romain, il eût fallu que les opprimés, les offensés et les humiliés de toute classe

  1. Fustel de Coulanges, La Cité Antique, p. 452.