Aller au contenu

Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
l’homme et la terre. — rome

ambiante, des vœux, des espérances, des passions et des vertus. Pas un acte de la vie qui n’eût sa divinité tutélaire, à laquelle on adressait une offrande ou un hommage : l’énumération de tous ces génies, répondant aux objets extérieurs et aux actions de l’homme, témoigne de la plus étrange puérilité en son « fétichisme verbal »[1]. De même, les mouvements, les gestes, les mots étaient réglés pour tous, magistrats ou capitaines, qui devaient entamer une affaire ou diriger une expédition et commencer l’œuvre tout d’abord par des inspections d’entrailles frémissantes ou l’examen d’oiseaux sacrés. Pour ces militaires qui marchaient « au doigt et à l’œil » sans prétendre à l’explication de l’ordre donné, les « signes » n’étaient pas moins sacrés que les mots de passe ! Les institutions romaines eurent la solidité des pyramides, elles en eurent aussi les arêtes nettes et anguleuses[2]. La Rome primitive était carrée : le camp romain était également un carré aux dimensions définies : tous les détails de la vie officielle, religieuse, politique, aussi bien que militaire, prenaient cette forme carrée », pour ainsi dire.

Et le droit, ce droit si brièvement, si impérieusement formulé, dont les paroles résonnent encore dans tous les prétoires, non moins sacrées pour les magistrats que les mots de la Bible le sont pour les prêtres ! Il caractérise si bien le génie de Rome que nombre de juristes, toujours fasciné, après 2 000 années, par l’écho des jugements brefs, décisifs, infrangibles qui retentissent dans le forum et que reproduisent comme pour l’éternité des inscriptions lapidaires, confondent instinctivement l’idée de Rome avec celle du droit. A les entendre, on pourrait croire que nulle autre nation n’avait eu avant les Romains la conception des rapports de justice et d’équité qui doivent s’établir entre les hommes et maintenir l’équilibre social. Il est certain en tout cas que le peuple de Rome, très pratique dans son appréciation des choses, est le premier qui ait reconnu nettement le domaine particulier du droit. Dès les origines, ils distinguent entre le droit divin et le droit humain, entre la religion et la jurisprudence. Il n’en était pas ainsi chez leurs devanciers, même chez les Grecs à l’esprit si clair. Les Hindous entremêlent tout dans leur enseignement : notions morales, notions religieuses et notions juridiques ;

  1. André Lefèvre, L’Histoire, p. 184.
  2. Emile Belot, Histoire des Chevaliers romains, I, 75.