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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/522

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l’homme et la terre. — rome

l’incarnation, soit de la naissance de Jésus-Christ. Lorsqu’elle fut proposée pour la première fois par le moine Denys le Petit, il y aura bientôt quatorze siècles, en l’an de Rome 1278 qui devint l’année 525 du nouveau calendrier, les fidèles catholiques l’accueillirent par esprit religieux, et c’est grâce au même esprit qu’elle remplaça peu à peu officiellement, dans les documents politiques et administratifs ainsi que dans la vie ordinaire, les ères précédemment pratiquées, séleucienne, julienne ou dioclétienne. Mais presque tout document historique sur la vie de Jésus-Christ manquait absolument ; l’inventeur de l’ère nouvelle ne put l’établir, et encore avec une erreur probable de quelques années, qu’à l’aide de dates fixes fournies par l’histoire contemporaine dans la vie d’Auguste et de Tibère ; c’est dans les annales mêmes de l’empire qu’il a fallu chercher tous les éléments du nouveau comput. En réalité, l’ère chrétienne n’est que l’ère « augustienne », de même que les anciens mois de quintilis et de sextilis sont devenus les mois de juillet et d’août, ou « august ». L’ère d’après laquelle les Espagnols comptaient encore au quatorzième siècle datait franchement d’Auguste et célébrait la réunion de la péninsule Ibérique tout entière à l’empire romain.

Arrivés à la prodigieuse hauteur où les avaient portés la lâcheté des hommes, les rivalités militaires et la recherche d’un équilibre social impossible à trouver, les empereurs romains, devenus dieux sur la terre, ne pouvaient guère éviter la folie. Leur pouvoir était illimité en tous sens, puisqu’il était à la fois celui d’un général d’armée, celui d’un magistrat et juge sans appel, celui d’un pontife suprême et celui d’un tribun du peuple représentant contre les puissants toutes les revendications d’en bas. Leurs richesses étaient sans mesure, puisqu’ils disposaient des tributs et des impôts de l’Italie, des provinces et des nations vaincues. Ils possédaient même l’Egypte entière, en propriété personnelle ; le vaste champ de blé et autres denrées qu’arrosait le Nil alimentait leur cassette privée ; ils y voyaient une sorte de clos et nul sénateur n’avait le droit d’y pénétrer, sans une autorisation précise du maître[1]. Un décret, l’expression verbale de leur volonté suffisait à leur procurer d’autres fleuves d’or, et toute fortune de proconsul ou d’usurier ne leur coûtait que la peine d’une condamnation à mort.

  1. J. Grafton Milne, History of Egypt under Roman Rule.