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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/8

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l’homme et la terre. — phénicie

en est à ce que la contrée ne fut jamais « une », ne posséda à aucune époque un caractère d’individualité nettement déterminé ; elle embrasse beaucoup de contrées diverses, ayant et méritant chacune un nom précis, mais il n’y a pas eu lieu d’en donner à son ensemble.

A première vue, ce rectangle presque régulier de l’Asie Mineure, se prolongeant à l’ouest de l’Arménie, entre l’angle sud-oriental de la mer Noire et le golfe d’Alexandrette, semblerait constituer une certaine unité au moins géographique ; mais à l’étude de la structure et du relief, on arrive sans peine à reconnaître que le pays est dépourvu de cohésion, privé de tout centre naturel et divisé en régions très distinctes, sollicitées par des forces d’attraction divergentes. Il est vrai que la presqu’île est traversée d’outre en d’outre par des chemins d’importance majeure : telle la voie diagonale qui des portes Ciliciennes se dirige vers le Bosphore. Mais cette route même eut beaucoup plus de valeur dans l’histoire par la communication qu’elle établit entre de grands empires et les deux continents que comme lien entre les provinces anatoliennes situées à droite et à gauche de son parcours. Les montagnes côtières, les massifs extérieurs divisent la contrée en autant de domaines particuliers, dont aucun ne fut jamais assez favorisé pour acquérir sur les autres une suprématie durable, mais offrant néanmoins assez d’éléments de force vive et de ressort pour se maintenir, sinon dans l’indépendance, du moins dans une certaine autonomie de mœurs, d’usages et de vie originale.

Ainsi la Cilicie, parvis des provinces de l’intérieur qu’avait à traverser la grande voie diagonale de la péninsule, se trouve pourtant comme séparée de l’Asie Mineure proprement dite ; elle regardait surtout vers l’île de Cypre et vers le littoral de la Syrie avec laquelle les habitants avaient leurs relations principales : des Phéniciens fondèrent des colonies dans cette région et la civilisation y prit un caractère essentiellement punique. Les hautes montagnes du Taurus, rocheuses, revêtues de cèdres, formaient, au nord de la plaine des rivières jumelles de la Cilicie, une frontière presque infranchissable, si ce n’est au défilé de la « Porte », très facile à défendre, mais livrant aussi fatalement tout le pays le jour où elle tombait entre les mains de l’assaillant. Pour passer du bassin de l’Euphrate sur le plateau Anatolien, soit par Alep, soit par Aïntab, les conquérant ou voyageurs avaient à escalader les hauteurs de l’Amanus ou à les contourner au