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Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/128

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aux yeux et n’éveille aucune sensualité. Il est agent de l’esprit bien plus que la belle couleur de la palette ou du prisme. Aussi la bonne estampe sera-t-elle goûtée plutôt en pays grave, où la nature au dehors peu clémente contraint l’homme à se confiner chez soi, dans la culture de sa propre pensée, ainsi que dans les régions du nord, par exemple, et non celles du midi, où le soleil nous extériorise et nous enchante. Elle n’est guère estimée en France, sauf appauvrie par la couleur, résultat autre, qui anéantit l’estampe et l’avoisine à l’image. Le crayon n’est guère plus apprécié.

Il y a au Louvre, dans les galeries des dessins, une somme d’art bien plus grande et plus pure que dans les galeries de peinture : on y va peu ; on visite préférablement les tableaux. C’est que le plaisir des yeux est là. Voilà le clair indice de l’analogue indifférence qui accueillera toujours en France l’œuvre de l’artiste qui se complaît dans l’austérité du noir. Aussi ai-je regardé l’essai qu’on voulut y faire de la publication de mon catalogue, sans trop y croire, je l’avoue.

Puis il devait paraître sur les Boulevards. Imagine-t-on le passant alerte et amusé de ces promenades bruyantes retenu sérieusement par une publication de cette nature ? Non, ces étranges lithographies, souvent sombres, abstruses, et disons-le, dont l’aspect est peu séducteur, s’adressent au contraire à des esprits de silence, et même ayant encore en eux les ressources si rares de l’ingénuité naturelle — sorte de grâce.

Pour dire ici toute ma pensée, j’ai toujours cru que mon public était loin de ces lieux, ainsi que le prouva d’ailleurs la première attention qui me fut donnée : c’est tout d’abord au delà de la frontière qu’on aima et rechercha mes travaux.

Quel bon public celui qui n’aurait jamais rien vu ! Le dilettante, quand il est sans amour, entretient en lui une tare néfaste : le besoin d’analyse, et l’accumulation dans sa mémoire de tout ce qu’il a vu (accumulation combien grande et toujours accrue à notre époque). Cet embarras mental le détourne de la fraîche