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LES SALONS.


Le peintre ingénu ayant négligé d’orner d’une inscription latine un pan de mur au-dessus d’une vieille femme, le tableau est dénué d’intérêt ; il ne fait point penser. Quand le marquis de Presles montre à son beau-père un paysage représentant neuf heures du soir, en été, dans les champs : « Ça n’est pas intéressant, ce sujet-là, s’écrie Poirier, ça ne dit rien ! J’ai dans ma chambre une gravure qui représente un chien au bord de la mer, aboyant devant un chapeau de matelot : À la bonne heure ! ça se comprend, c’est ingénieux, c’est simple et touchant ! » Avec son génie, Diderot raisonne-t-il autrement que M. Poirier ?

Encore s’il se contentait des tableaux qui font penser ! Mais une fois sur cette pente, il ne s’arrête pas ; il veut bientôt qu’un tableau soit une leçon de morale. « Quoi donc ! le pinceau n’a-t-il pas été assez et trop longtemps consacré à la débauche et au vice ! Courage, mon ami Greuze, fais de la morale en peinture ! » Et le voilà s’échauffant à perte d’haleine sur ce thème. Le projet de tout honnête homme qui prend le pinceau — l’auteur des Bijoux indiscrets ajoute même : « et la plume », — c’est de rendre la vertu aimable, le vice odieux et le ridicule saillant. Nos pédagogues modernes ont inventé la morale en action ; il préconise la morale en couleur. De là, sans doute, tant de pages délicieuses sur ce Greuze, « votre peintre et le mien, le premier qui se soit avisé parmi nous de donner des mœurs à l’art et d’enchaîner ces événements d’après lesquels il