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Page:Relation historique de la peste de Marseille en 1720, 1721.djvu/23

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de la peſte de Marſeille

Cette peine d’une attention continuelle à ſe garantir d’un mal, qui ne reſpecte ni âge, ni ſexe, ni condition, deviendroit plus douce, par le plaiſir qu’on auroit de ſe conſerver, ſi on ne tenoit qu’à ſoi-même, & ſi les allarmes continuelles où l’on eſt pour des amis qu’on eſtime, ou pour des parens que l’on aime, ne troubloit la douceur de ce plaiſir. Tous les jours on apprend la chûte de quelqu’un de ceux pour qui on s’intereſſe ; & le chagrin qu’on a de les ſçavoir malades, devient bientôt plus amer & plus cuiſant par la nouvelle de leur mort. Triſte ſituation, où l’on ne peut ſauver ſa vie que par des ſoins infinis, qui ne délivrent pas de la crainte de la perdre à tout moment, ni du cruel chagrin de voir perir ceux que l’on aime.

Chacun attentif à ſa propre conſervation, ſe croit diſpenſé de donner aux autres les ſecours qu’il lui doit naturellement, & la charité la plus vive amortie par la vûë du peril ſe refuſe aux pieux mouvemens qui la preſſent. Une fille malade craint de conſerver ſa vie aux dépens de celle

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