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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/149

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Des soldats le conduisirent au fauteuil qu’on avait préparé pour lui en face de la cour.

Là, il se laissa tomber plutôt qu’il ne s’assit, et Feringhea, qui jusqu’alors était resté si complètement maître de lui, ne put retenir un mouvement de colère.

On eût dit qu’il voulait se précipiter sur cet être meurtri, qui semblait n’être arrivé jusqu’au milieu du prétoire que par un suprême et dernier effort.

Le témoin installe, le président lui adressa la parole.

— Votre nom ? lui demanda-t-il.

— Yvan Vasiliwiecz, répondit le défiguré.

— Vous êtes Russe ?

— Oui, sir, et j’étais au service d’une brave famille pour le salut de laquelle je regrette de n’être pas mort.

— Ce sentiment vous honore. Mais, vous semblez bien faible… Aurez-vous la force de raconter les faits dont vous avez été témoin ?

— Oh ! je l’espère, fit Yvan, en s’accrochant aux bras de son siège.

« Dieu m’accordera la grâce d’accomplir ma tâche ; Dieu me permettra de raconter des crimes horribles… dussé-je expirer lorsque le dernier mot sera sorti de mes lèvres !

— Calmez-vous, continua le magistrat d’un ton compatissant. Nous vous écouterons avec toute l’indulgence qu’exige votre position.

— Il va mentir !… s’écria Feringhea, qui paraissait redouter la déposition d’Yvan.

— Silence ! ordonna le président.

Yvan commença d’une voix saccadée.

— J’avais bien entendu parler des Thugs dans la propriété qu’habitaient mes maîtres, sur les rives du Kavery, mais mes maîtres, pas plus que moi, ne voulaient croire à leur existence. Nous nous trompions.

« Un soir, il me sembla que des gémissements venaient des bords d’un petit lac voisin d’un jungle où j’étais allé visiter les travaux entrepris par nos esclaves dans la journée précédente.

« Je m’approchai de ce lac, et dans les plus hautes herbes qui croissent sur ces rives, je découvris un jeune homme dont la tête était presque séparée du tronc par une épouvantable strangulation.

« Supposant que l’assassin était caché dans le taillis, je m’élançai de ce côté, car j’étais fort et courageux ; mais le jungle était désert, et quand je revins sur les bords du lac, la victime avait disparu.

« Rêveur et sombre, je regagnai l’habitation où je me gardai bien, en racontant ce que j’avais vu, de répandre la tristesse au milieu d’une fête.