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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/258

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de fête et de joie, pendant que son cœur était brisé, lorsque Sabee vint la prévenir que son père désirait la voir.

— Je suis aux ordres de sir Arthur, dit-elle, sans dissimuler l’ennui que lui causait cette visite.

— Il me suit, maîtresse, répondit la jeune Indienne.

— Qu’il entre !

Et elle se souleva de son siège. Son père venait, en effet, de franchir le seuil de son appartement.

Le gentilhomme anglais était en grande tenue de soirée, l’épée au côté, prêt à se rendre au bal du gouverneur.

C’était à cette époque un homme de cinquante-cinq ans à peine, paraissant encore assez jeune, grâce à sa taille svelte et élancée.

Sa physionomie pouvait plaire au premier aspect, lorsqu’on n’avait pas eu le temps de reconnaître sur son visage les ravages que les passions honteuses et brutales y avaient faits, avant qu’on eût été frappé de la mobilité et de la fausseté de son regard.

En apercevant sa fille en costume de maison, il ne put réprimer un mouvement de mauvaise humeur, quelque effort qu’il fit pour se contenir.

— Il est donc vrai, miss Ada, lui dit-il, avec un accent hautain, que vous ne viendrez pas ce soir au Gouvernement ?

— Je vous en demande pardon, mon père, répondit-elle, mais je suis souffrante et ne sortirai pas.

— Je désire cependant que vous veniez à cette soirée.

— Je regrette de ne pouvoir vous satisfaire ; cela m’est impossible.

— Impossible !

— Du reste, je n’ai rien de prêt ; je ne pensais pas que vous tinssiez autant à ma présence dans ce monde que j’aime fort peu, vous le savez. Jusqu’ici vous ne m’aviez jamais reproché de m’en éloigner.

— Cela peut être, mais j’y tiens pour cette fois, j’y tiens beaucoup. Votre garde-robe ne manque pas de toilettes ; mettez la première venue. Je vais vous attendre chez moi.

— Ce serait inutile : je vous le répète, je n’irai pas à ce bal.

Sir Arthur, qui s’était déjà dirigé vers la porte, s’arrêta brusquement, se demandant s’il avait bien entendu ; mais la fermeté du regard de miss Ada était la confirmation de ses paroles.

— Ce n’est pas une prière que je vous fais maintenant, c’est un ordre que je vous donne, reprit-il, emporté par la colère et en se rapprochant du siège où elle était tombée.

— Je n’aurais pu me rendre à une prière, répondit doucement et avec dignité la jeune fille, je n’obéirai pas davantage à un ordre.