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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/282

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cisme, ni le doute. Nous croyons, comme vous, à une autre vie, à un autre monde, dans lequel nous ne pouvons être heureux que si nous avons quitté celui-ci dans les conditions que notre Dieu nous impose. Je vais mourir, Ada !

— Mourir ! dit la jeune fille, en passant ses bras autour du cou du jeune homme.

— Oui, je vais mourir d’un mal qui ne pardonne pas, contre lequel toute la science, lors même que je voudrais l’appeler à mon secours, ne pourrait rien. Dans trois jours je ne serai plus. Eh bien ! je voudrais que vous me fissiez une promesse.

Les sanglots de miss Ada répondaient pour elle.

— Que fera-t-on de mon corps, lorsque la vie s’en sera retirée ? Peut-être le jettera-t-on dans une fosse commune ? C’est ce que je ne voudrais pas, et voici ce que je demande à votre amour de faire pour moi. Lorsque vous apprendrez ma mort, vous vous informerez du cimetière où aura été conduit mon cadavre et vous l’achèterez, à prix d’or s’il le faut, pour le faire ensevelir selon les rites et les coutumes hindous. Si j’avais succombé dans ma maison, au milieu des miens, ma fiancée aurait veillé pendant trois nuits, mes serviteurs auraient accompagné les chants des brahmines, mon corps aurait été purifié avant d’être livré aux flammes du bûcher, et Yama m’eût reçu sans colère. Voulez-vous remplacer les amis que je n’ai plus ?

— J’obéirai, put à peine répondre à voix basse Ada, en laissant tomber sa tête sur l’épaule de Nadir.

— Alors, soyez bénie, reprit-il, et retenez bien ce que je vais vous dire. Aussitôt ma mort, vous louerez une maison en dehors de la ville, dans un endroit isolé, et vous y ferez transporter secrètement mes dépouilles. Puis vous ferez prévenir, par quelqu’un de sûr, Nanda, le brahmine de la pagode de Wischnou ; vous lui remettrez cet anneau, et il se chargera de me rendre les derniers devoirs. Lorsqu’il sera près de mon cadavre, mon âme n’aura plus besoin de vos prières, car je veux que mes cendres soient jetées au vent pour porter jusqu’aux extrémités de cette terre maudite ma dernière pensée.

La fille de sir Arthur écoutait, mais ses yeux étaient hagards ; elle pensait faire un songe affreux.

— Maintenant, miss Ada, séparons-nous, termina Nadir en laissant tomber dans la main de la jeune fille un anneau d’or qu’il avait fait glisser de l’un de ses doigts avec ses lèvres, et en mettant sur son front un long baiser qui la fit rougir. Nous ne nous reverrons plus ici-bas ; on ne lutte pas contre la fatalité. Séparons-nous !

Les sanglots étouffaient Ada ; elle ne pouvait dire une parole.