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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/323

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Avant de partir, voulant fixer le sort de Sabee, qui se désespérait de quitter sa maîtresse, elle avait fait libérer Roumee, à la condition qu’il épouserait la jeune Mahratte ; condition que le brave cipaye avait acceptée avec joie et reconnaissance.

Puis elle avait enrichi le nouveau ménage d’un seul coup, de façon à ce qu’il fût pour toujours à l’abri du besoin et qu’à l’occasion, elle sût où retrouver les deux fidèles serviteurs.

Cependant, au milieu de tout le bonheur qu’elle éprouvait, elle avait un remords : c’était à l’égard du capitaine George, ce brave et galant gentilhomme dont elle avait si durement brisé le cœur et détruit les espérances.

Depuis le jour où elle lui avait refusé sa main, il n’avait pas reparu à l’hôtel.

Ne voulant pas cependant quitter Hyderabad sans s’être franchement excusée, miss Ada le fit prier de venir la voir.

Elle apprit qu’il était absent de chez lui depuis près d’une semaine, et que, sur sa demande, le gouverneur lui avait accordé un congé d’un mois.

Elle dut alors se contenter de lui écrire quelques lignes pour lui exprimer son amitié sincère et ses regrets, et, lorsque le moment fut venu, elle partit sans l’avoir vu.

Sabee n’avait voulu quitter sa maîtresse qu’au dernier moment ; il avait fallu l’arracher de ses bras.

Quant à sir Arthur, il avait mis sur le front de sa fille un baiser glacial en lui faisant quelques recommandations banales, et, des lèvres plutôt que du cœur, il lui avait souhaité bonne route.

Le lendemain, il n’y avait rien de changé dans l’hôtel du colonel ; il reprenait son train de vie accoutumé, partageant son temps, ainsi qu’il le faisait depuis de nombreuses années, entre son service et le jeu, et ne songeant plus ni à sa fille ni au désespoir du capitaine Wesley.

Aussi fut-il surpris un matin, quinze jours à peu près après le départ de miss Ada, de voir entrer chez lui l’officier, botté, éperonné, couvert de poussière, le visage bouleversé et semblant brisé de fatigue.

— Qu’y a-t-il donc, George ? lui dit-il amicalement et en allant au-devant de lui. Qu’avez-vous ? d’où venez-vous ?

— D’où je viens, sir Arthur ? de faire près de deux cents lieues à cheval en quinze jours, de battre toutes les bourgades depuis Hyderabad jusqu’à Tritchinapaly.

— Pourquoi donc ?

— On m’avait dit qu’on avait rencontré dans cette dernière ville un homme, un misérable que j’avais intérêt à voir de mes yeux, face à face. Ce qu’il y a ? c’est que je n’ai pu joindre cet homme, et que, lorsque hier seulement, voulant avoir raison de mes soupçons et de mes pressentiments,