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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/356

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arrière, insensés ! Croyez-vous donc que, si je craignais la mort, je serais parmi vous ; pensez-vous que si j’étais un traître, je viendrais me livrer ?

— Et nos frères vendus, assassinés ! hurlèrent les assaillants.

— Silence ! écoutez-moi ! reprit-il, vous me frapperez ensuite, ainsi que cette femme, si vous ne vous agenouillez pas devant elle et devant moi, si vous ne bénissez pas la mémoire de celui que, dans votre aveuglement, vous avez maudit.

Les Étrangleurs, surpris de cette audace, s’étaient serrés les uns contre les autres, subissant malgré eux l’ascendant de cet homme étrange, qui, sans armes, au milieu d’eux, leur parlait comme à des esclaves.

— Oui, continua-t-il, tout ce qu’on vous a rapporté des faits qui se sont passés dans le Sud est vrai. Oui, Feringhea a livré à nos oppresseurs plusieurs milliers des nôtres et leurs cadavres sont restés suspendus aux gibets. Il avait jugé qu’il devait en être ainsi.

« Il était indispensable qu’on crût notre association terrassée, dispersée à jamais, car cette lutte lâche, dans l’ombre, inutile, avait atteint le terme fixé par le destin.

« Notre secte n’était plus composée alors que d’instruments aveugles dont les bras ne s’armaient pas par les ordres de la divinité ni pour l’amour sacré de la liberté, mais seulement par la soif du pillage, du vol et du meurtre.

« C’est surtout le sang de notre race qui coulait, grâce à nos superstitions, à nos divisions de castes et de sectes. C’étaient nos rangs, et non pas ceux de nos oppresseurs, qui s’éclaircissaient de jour en jour. Pour un étranger qui tombait sous nos coups, cent des nôtres périssaient, et, depuis dix siècles, ce même empire où ont régné nos pères, ne faisait que changer de maîtres.

« De quel secours a été, dans nos luttes nationales, cette association mystérieuse et sanguinaire qui venait dans l’épouvante plus encore les vaincus que les vainqueurs ? Est-ce par des meurtres isolés, par des rapines, par des assassinats de femmes et d’enfants, qu’un peuple travaille utilement à son œuvre de régénération ?

« Interprètes absurdes ou intéressés des livres sacrés confiés à leur sagesse, vos prêtres, lâches et débauchés, vous disaient : « Allez et frappez ! » et vous obéissiez sans souci du choix de vos victimes, ne vous inquiétant que de leur nombre.

« Il y a vingt-cinq ans que Brahma m’a jeté fatalement en ce monde pour devenir votre maître ; j’ai laissé, pour marcher dans la voie qui m’est tracée, mon nom, mes amours, mes souvenirs. Pour vous, j’ai fait le serment de ne rien regretter et de ne pas regarder en arrière. Aujourd’hui, c’est le Dieu qui vous parle par ma voix et qui, par ma voix, vous ordonne d’écouter et d’obéir.