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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/42

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Feringhea, qui avait prononcé ces derniers mots d’une voix sourde, la tête baissée, s’arrêta brusquement.

Le tribunal crut qu’il cherchait à rassembler ses souvenirs, et la foule, malgré son impatience, gardait un profond silence, violemment émotionnée par cet étrange récit.

— Eh bien ! continuez, dit le président à l’Hindou. Votre mémoire vous fait-elle défaut ?

Feringhea releva vivement la tête.

— Non, milord, répondit-il, je n’ai rien oublié ; j’écoutais Kâli et les frémissements de mon cœur au souvenir toujours présent de cette nuit.


VI

LES FOSSOYEURS.



Feringhea resta quelques instants encore en méditation.

Puis, comme s’il n’eût pu contenir les torrents de sa pensée, sa parole devint vive, rapide, saccadée. Ses yeux se chargèrent d’éclairs, et c’est en proie à une exaltation croissante que le Thug continua :

— La scène qui se passa alors est encore tout entières devant mes yeux. Les bœufs et leurs conducteurs étaient pêle-mêle au fond du ruisseau avec les Thugs, excitant leurs bestiaux du geste et de la voix. Ils étaient à quelques pieds en-dessous de nous. Le ruisseau était si étroit qu’il était difficile à toute la troupe de se tenir dans son lit, surtout lorsque la charrette arriva au fond. Sur le bord du ravin se tenait Budrinath, à côté de lui Roop-Singh, le gooroo, le sahoukar, un domestique et moi.

« Plusieurs Thugs nous entouraient.

« J’attendais le signal avec impatience ; je serrais avec force le mouchoir sacré.

« Celui qui devait être ma première victime était auprès de moi, à la longueur du bras.

« Je m’étais placé derrière lui.

« Le Thug chargé du domestique avait fait le même mouvement.

« Le sahoukar fit alors quelques pas vers la route, sans doute pour s’assurer de la façon dont ses gens effectuaient le passage du ruisseau. Je le suivis.

« Je m’apercevais à peine que je bougeais, tellement je l’observais avec attention. Je ne faisais plus qu’un avec lui.