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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/471

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— Réponds-moi. Où est cette femme ? N’est-ce pas celle qui est là-bas contre ton comptoir ?

Maître Bob qui sentait que les deux mille cinq cents livres allaient lui échapper, avait ouvert la porte contre laquelle il était resté appuyé et il se disposait à appeler à son aide quelques-uns de ses clients ; mais le comte, qui avait parfaitement deviné son mouvement, le saisit par le bras ; et, si petite que fût la main de l’étranger, le tavernier comprit, à la façon dont elle s’imprima dans sa chair, que toute lutte serait insensée.

— Eh bien ! quoi ? enfin, que voulez-vous ? répondit-il furieux.

— Que tu nous livres cette femme, dit le comte.

— Et que tu nous dises ce qu’est devenue son enfant, poursuivit le docteur.

— Son enfant ! quel enfant ? La femme, je vais vous la faire voir ; mais quant à l’enfant, je ne sais pas ce que vous voulez dire.

— Et Saphir ? demanda Villaréal.

— Saphir, c’est ma fille.

— Tu mens, Saphir est l’enfant de cette malheureuse, et cette jeune fille, tu l’as vendue. Aujourd’hui, tu veux lui vendre sa mère.

— Moi !

— Toi-même !

« Tu vois que je n’ignore rien, maître Bob, ou plutôt Jack Thompson ; n’essaye donc pas de mentir. J’ai entre les mains la lettre que tu as écrite ou fait écrire à miss Ada Maury, à Hyderabad.

Le docteur Harris, qui était parvenu à rester maître de lui jusqu’à ce moment, ne put se contenir à cette révélation inattendue que sa fille, l’enfant de son crime, était devenue une prostituée, grâce à l’avidité du misérable qui avait spéculé sur sa beauté, et il se précipita sur Bob.

Sans la présence du comte, c’en eût été fait de l’honnête tavernier.

Comprenant, dès ce moment, qu’il était à la merci de ces deux hommes, sans toutefois de rendre bien compte de la colère d’Harris, qu’il voyait pour la première fois, Bob se décida alors à tout avouer.

— Eh bien, oui, dit-il, j’ai recueilli chez moi une femme et un enfant, mais je n’ai su que plus tard que cette femme était lady Maury. Si Sarah a mal tourné, ce n’est pas de ma faute. Croyez-vous que c’est ici qu’elle a pu prendre des leçons de morale !… Il est vrai que j’ai dit à Saphir que si elle voulait emmener sa mère, il fallait qu’elle me mît à même de quitter cette maison. Vous savez bien, vous, qu’il n’y fait pas bon ici, et qu’un beau jour cela tournera mal.

Ces derniers mots s’adressaient à Villaréal, qui savait mieux que personne, en effet, qu’il pouvait se faire qu’une nuit sir Richard Mayne fît maison nette dans le lodging house de Star lane. Il ignorait seulement que, grâce à Bob lui-même, cela pouvait arriver sans qu’il s’en doutât.