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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/494

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Lorsque Villaréal rentra chez lui avec Harris, ils trouvèrent les deux femmes dans les bras l’une de l’autre.

Saphir était folle de joie de voir que sa mère était enfin enlevée à Bob ; si cela avait été possible, son amour pour le comte en aurait encore grandi.

Quant à la pauvre idiote, elle répondait instinctivement aux caresses de son enfant, en portant autour d’elle des regards étonnés qui semblaient avoir par instants des éclairs d’intelligence.

On eût dit que l’infortunée se souvenait ou faisait des efforts douloureux pour se souvenir.

Ses yeux allaient de ses vêtements presque sordides aux tentures luxueuses de l’appartement.

Appuyée sur sa fille, elle examinait les meubles les uns après les autres, les soulevait, cherchant évidemment à se rendre compte de leur usage, comme le fait un enfant qui ne sait pas encore et qui, par le toucher, s’efforce de comprendre.

Saphir guidait sa mère et répondait à toutes ses questions, espérant à chaque instant qu’elle allait revenir à la raison et qu’elle apprendrait enfin, elle, la pauvre fille vendue, le secret de sa naissance.

Cette scène touchante durait depuis plus de deux heures lorsque Villaréal et Harris, après avoir assisté à l’incendie de la manufacture de M. Berney, rentrèrent à l’hôtel et pénétrèrent dans le salon où les deux femmes les attendaient.

En apercevant le comte, qui avait eu soin, ainsi que le docteur, de changer de vêtements, Saphir se précipita vers lui pour le remercier, mais remarquant son air soucieux et préoccupé, elle s’arrêta dans son élan expansif.

Cependant, elle voulait savoir pourquoi sa mère avait été conduite dans cet hôtel plutôt que sans celui de Dove’s street.

Le comte lut sans doute ce désir dans les regards de la jeune fille, car il la prit par la main, l’attira doucement dans un des angles du salon et lui dit :

— Vous vous étonnez, mon enfant, que je vous aie fait venir chez moi au lieu de conduire votre mère chez vous ?

— Oui, je m’avoue que cela m’étonne et m’inquiète, répondit Saphir en rougissant, car Villaréal pressait affectueusement ses mains dans les siennes.

— C’est qu’il est temps, poursuivit le comte, sans paraître remarquer l’émotion de la jeune fille, que vous appreniez des choses que vous ignorez ; il est temps que vous vous prépariez à une existence tout autre que celle que vous avez menée jusqu’ici.