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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/544

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douloureux jours, laissez-moi implorer une dernière fois leur pardon.

En disant ces mots, le docteur s’était tourné vers lady Maury et Saphir, qui restaient entrelacés, et ses regards disaient assez combien son repentir était sincère, combien étaient grands ses remords.

Ces deux femmes, dont le souvenir l’avait torturé pendant si longtemps ; ces deux femmes dont l’une était sa victime et l’autre son enfant ; ces deux êtres dont les souffrances étaient son œuvre, qu’il avait revus dans ses rêves et dans ses insomnies, elles étaient là devant lui, évoquant encore par leur désespoir et leurs larmes ce passé odieux qui faisait monter le rouge à son front.

Le drame épouvantable dans lequel Saphir avait été comme l’ange de l’implacable justice était la conséquence de ce viol infâme dont il s’était rendu coupable : les choses avaient suivi leur cours avec cet enchaînement fatal qui conduit de crime en crime.

Si la débauche et la paresse ne l’avaient pas fait jadis le compagnon de sir Arthur Maury, le misérable n’eût peut-être pas trouvé de complice pour son lâche attentat ; lui, Albert Moore, n’eût pas été condamné, forcé de s’exiler ; il ne fût pas rentré dans son pays le cœur rempli de fiel, débordant de haine ; il ne se fût jamais mis à la tête d’un mouvement populaire, il n’eût pas rencontré Villaréal, et celui-ci, abandonné à ses propres moyens, n’aurait pu lutter aussi victorieusement qu’il venait de le faire contre la société et l’autorité anglaises.

Toutes ces victimes sacrifiées à la vengeance : sir Arthur Maury, ses fils, l’honnête et brave James, l’adorable miss Emma ; est-ce qu’il n’était pas l’un de leurs bourreaux ?

Et cette jeune fille, dont l’abandon et la misère avaient fait une courtisane, cette jeune fille qui était son enfant et qui refusait de l’appeler son père, quel avenir de douleur lui était réservé !

Toutes ces terribles pensées affluaient au cerveau d’Albert Moore et il n’osait élever la voix.

Il était là, muet, oppressé, prêt à perdre la raison.

Ce silence navrant dura plusieurs minutes, puis, succombant à l’émotion et au désespoir, le docteur se laissa tomber à genoux, et tendant ses mains suppliantes vers les deux femmes, il ne put murmurer qu’un seul mot :

— Pardon !

Comprenant tout ce que cet homme devait souffrir, lui qui n’avait retrouvé l’enfant de son crime que dans le vice et pour s’en séparer, lady Maury répondit sans hésitation :

— Je vous pardonne, monsieur et je prierai Dieu qu’il vous pardonne aussi.

Saphir restait le visage appuyé sur le sein de sa mère. Il était évident