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Quoiqu’il en fut, la colonie anglaise ne crut à l’arrestation de Feringhea que lorsqu’elle le sut enfermé sous bonne garde dans un des cachots du château Saint-Georges, fort immense qui s’élève sur le rivage et défend Madras du côté de la mer.

Dès le lendemain de l’arrivée du terrible chef, lord Bentick voulut l’interroger lui-même.

La cellule où le gouverneur du fort avait fait placer Feringhea était une des moins sombres de ce triste lieu, car l’ordre ayant été donné de surveiller le prisonnier nuit et jour, on avait dû choisir un cachot dans lequel les gardiens pussent ne pas être trop privés d’air et de lumière.

Le chef des Thugs avait gagné, à cette sollicitude du directeur de la prison pour ses employés, un logis presque supportable.

C’était une assez grande casemate, meublée d’un lit de nattes et d’une table. On y enfermait d’ordinaire les sous-officiers condamnés à quelques jours de détention.

Deux geôliers, qui étaient relevés d’heure en heure, ne quittaient pour ainsi dire pas Feringhea des yeux, et l’un des postes de soldats était juste en face de la porte de son cachot. On ne lui avait pas moins mis les fers aux pieds et aux mains. C’est à peine si les entraves qu’il avait aux jambes lui permettaient de se tenir debout.

Aussi était-il à demi couché sur ses nattes, lorsque lord William Bentick se présenta tout à coup à lui.

Le chef des Thugs ne se leva pas, mais montra ses fers pour s’excuser.

— Feringhea, lui dit le gouverneur de Madras, j’ai voulu vous interroger moi-même avant votre comparution devant la cour qui se réunira dans quelques jours pour vous juger. Je désire apprendre, de votre bouche même, si le désir que vous avez exprimé à sir Edward Butler de faire des révélations est sérieux. Je veux connaître le prix que vous voulez mettre à votre sincérité, afin de savoir si vos conditions sont admissibles, si mon devoir me permet de les accepter.

— Faites éloigner vos aides de camp, mylord, et je vous parlerai en toute franchise, répondit le prisonnier d’une voix ferme.

Lord William ordonna aux officiers qui l’avaient accompagné de s’éloigner, et se rapprochant du chef des Thugs, il lui fit comprendre du geste qu’il l’écoutait.

— Mylord, dit Feringhea, ce dont je désire tout d’abord que vous soyez bien convaincu, c’est que je ne suis votre prisonnier que par ma propre volonté. Vous devez bien penser qu’un homme tel que moi ne se laisse arrêter, comme je l’ai été à Tanjore, que lorsqu’il a décidé qu’il devait en être ainsi.

— Vous n’avez, en effet, opposé aucune résistance, et vous voyez qu’on ne vous traite pas comme un prisonnier ordinaire.